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LA CHASSE

Lucas, quadragénaire à l’entrain juvénile, s’occupe de jeunes enfants au sein d’une école maternelle, son propre fils adolescent étant sous la garde de son ex-femme. Entouré d’une solide bande de copains, et bien décidé à reprendre une existence joviale et stable après une séparation houleuse, il va cependant faire l’objet d’une accusation de pédophilie accablante, aux conséquences désastreuses.

DÉNONCER LA CULTURE DU NON-DIT

En un film (Festen, 1998), Thomas Vinterberg a su mettre l’accent sur ce dont il parlerait tout au long de sa carrière de cinéaste. Jonglant aisément avec ses dérivés, maniant l’hypocrisie avec brio, il propose avec La chasse une nouvelle réflexion autour de ce grand clown de la nature humaine, pourtant dotée de parole : le non-dit. Il joue avec ce polichinelle, la supposition, et avec ce funambule, l’à priori, les plaçant au centre du spectacle effroyable de l’accusation. Pour ainsi dire, il adopte la finesse du psychologue allant creuser précisément là où ça fait mal, faisant agir ses personnages exactement de la manière que l’on craint le plus, et lorsqu’on voudrait dire stop, il redouble de perspicacité. 

Or, même si l’on cerne assez rapidement les propos de Vinterberg dans ses films, ils n’en sont pas plus prévisibles. Là où le réalisateur se distingue de la machine à thrillers nordique, c’est que son œuvre n’a pas vocation à faire peur. Utilisant certes parfois les codes du film noir, et rappelant avec La chasse le cinéma de Clouzot et son attrait évident pour les rôles d’enfants à tendance insidieuse, Vinterberg cherche plutôt à disposer une table lisse et transparente, et à y placer dessus le genre humain pour l’étudier sous un angle cynique, propre au cinéma scandinave.

Situé dans le contexte d’un divorce compliqué, une rupture muette, la fracture sans paroles d’un couple qui ne communique plus que par la colère et le reproche, La chasse plonge dès son commencement dans une atmosphère au silence pesant, en dépit d’un tableau de l’amitié masculine empreint de bonhomie et d’éclats de rire. Les enfants, trop jeunes pour comprendre – quoique sensibles aux silences – tandis qu’ils apprennent la parole, se placent naturellement en observateurs du monde adulte, espionnant celui qui, devant eux, joue au clown, pour mieux dissimuler ses peurs. Parce que les exprimer effraie bien plus encore que de vivre avec. Parce que La chasse fait la critique d’un monde où il faut être saoul pour se dire « je t’aime ».

Enfin, accentué par une bande originale discrète et la présence enveloppante d’une forêt en couvre-chef d’activités cynégétiques, le silence est celui, mortuaire, de ceux qui, en se taisant, consentent au terrible jugement.

DÉCONSTRUCTION DU MÂLE DOMINANT

En choisissant d’adopter un style visuel se rapprochant du documentaire (et du dogme qu’il créa avec Lars Von Trier), Vinterberg place le personnage controversé de Lucas en témoin, au centre d’un questionnement profond allant bien au-delà de l’ostracisme virulent dont il est victime. Remettant en question les codes, il fait voler en morceaux l’image évoquée en début de film, qui traduit la chasse comme étant réservée à l’homme bourru et alcoolisé, mettant en lumière des hommes en réalité infantilisés, craintifs et emplis de doutes, ne trouvant l’accès à leurs émotions qu’au travers d’épisodes colériques où seules quelques larmes transparaissent. 

De certitudes en comportements grégaires, les hommes et les femmes mis en scène dans La chasse n’ont d’autre réaction face au dérèglement que de vouloir lui trouver une cible humaine le plus rapidement possible, tout en maintenant sous le tapis des problématiques très fortement ancrées dans un mode de vie poussant au repli sur soi, voire à l’isolement. Les membres de la joyeuse bande, fidèles au réalisateur, Bjarne Henriksen, écrasant de sensibilité en père dévasté par l’enlèvement de sa fille dans la série The killing (2007), et Thomas Bo Larsen, déjà présent lui aussi dans Festen et de nouveau à l’affiche du récent Drunk (2020), apparaissent rapidement comme des adultes enclenchés sur les rails d’existences programmées, irresponsables pour certains vis-à-vis de leur propre progéniture, tout comme leurs épouses. Mads Mikkelsen, interprétant Lucas de manière juste et mesurée, semble alors patauger dans un environnement où les enfants sont laissés pour compte, abandonnés, exposés à la culture porno à un âge où ils ne sont pas seulement en mesure de comprendre de quoi il s’agit. 

De la bouche des enfants ne sort alors qu’un appel à l’aide, en provenance de petits êtres troublés et désorientés. La chasse expose de façon subtile les conséquences d’un tel laisser-aller issu d’une éducation stérile à certains niveaux, donnant des adultes impulsifs, et accusateurs tandis qu’eux-mêmes irresponsables. Dans sa quête de sens, sa chasse à l’Homme, Vinterberg n’est-il pas en train d’insuffler l’idée d’une révision générale de l’éducation ? Par cette vision du paria à contre-courant du mythe de l’enfant-roi, il éclaire de sa sensibilité la théorie du mal par le mal. 


#LBDM10ANS


 




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