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LA CHANCE SOURIT À MADAME NIKUKO

Nikuko est une mère célibataire bien en chair et fière de l’être, tout en désir et joie de vivre – un véritable outrage à la culture patriarcale japonaise ! Elle aime bien manger, plaisanter, et a un faible pour des hommes qui n’en valent pas toujours la peine. Après avoir ballotté sa fille Kikurin la moitié de sa vie, elle s’installe dans un petit village de pêcheurs et trouve un travail dans un restaurant traditionnel. Kikurin ne veut pas ressembler à sa mère et ses relations avec Nikuko ne sont pas toujours simples. Jusqu’au jour où ressurgit un secret du passé.

Critique du film

Nouvelle itération du studio 4°C, La chance sourit à madame Nikuko ne fait pas exception à la ligne éditoriale de la société de production qui a pour habitude de varier les genres cinématographiques et de déjouer une partie des attentes du spectateur. Le mélodrame centré sur la relation mère/fille que semble promettre l’accroche est finalement concentré dans une séquence de fin lourdaude mais déjouée par un joli trait d’humour. Le reste du film est consacré à un sujet plus vaste encore : le « rien » du quotidien, dans une petite ville de campagne, et le spleen adolescent qui naît progressivement chez la jeune Kikuko.

Le film se découpe ainsi en petites tranches de vie, registre très cher à l’animation japonaise, mais se distingue des autres représentants du genre en refusant de s’arrêter sur la question du temps qui passe. Au contraire, le récit organise un joyeux carambolage : les séquences se suivent, s’entrechoquent presque, sans temps mort. Le long-métrage d’Ayumu Watanabe (Les enfants de la mer) explore ainsi plusieurs sujets communs (une brouille entre les filles de la classe, le rapprochement avec un camarade solitaire, un événement sportif à l’école…) mais le fait avec beaucoup d’énergie et d’excentricité – en témoignent ces plans sibyllins d’insectes ou de petits animaux qui apparaissent au milieu des scènes et commentent à voix haute l’action en cours. L’ensemble adopte un certain humour de circonstance, en ne cherchant pas à être drôle à tout instant mais en sélectionnant plutôt les moments quotidiens les plus favorables à un trait d’esprit. Cette approche sage permet au film d’entretenir assez longuement son principal ressort comique : la gêne ou l’ennui de l’héroïne face au comportement impulsif et souvent ridicule de sa mère.

La chance sourit à Madame Nikuko

L’opposition des caractères se trouve d’ailleurs rejouée par le traitement graphique des personnages : tandis que madame Nikuko est représentée dans un esprit cartoon avec des formes très rondes propices aux émotions débordantes, sa fille Kikuko possède un visage beaucoup plus noble et réaliste, avec des traits réguliers qui évoquent directement les shojo classiques. Malgré ces différences, les deux visages se rejoignent dans leurs déformations, puisque les grimaces sont placées au centre de plusieurs scènes, avec un naturel assez désarmant. Une manière peut-être pour les animateurs, par la rupture comique et graphique, d’élargir notre appréciation générale de la mise en mouvement du monde animé en attirant notre attention sur cet élément précis et atypique.

La bonhomie générale aide en tout cas le film à poursuivre son cheminement sans but ni réel fil rouge. Au terme du récit, les personnages n’ont pas fondamentalement changé, malgré les petites inflexions du quotidien, mais c’est certainement ce qui est le plus juste et satisfaisant dans le portrait de Madame Nikuko et de sa fille : l’existence, au fond, d’une certaine permanence des choses.

Bande-annonce

8 juin 2022 – De Ayumu Watanabe




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