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LA CAMPAGNE DE FRANCE

Mars 2020. Après un mandat diversement apprécié, le maire sortant de la commune de Preuilly-sur-Claise décide de ne pas se représenter. Trois listes électorales s’engagent alors dans une lutte sans merci pour pouvoir accéder au fauteuil de maire. Parmi elles, celle de Mathieu Barthélémy, benjamin des élections et figure trop peu connue du reste des habitants de Preuilly. Pour se faire entendre, il décide de s’allier avec un redoutable politicien connu de tous les locaux, le bourru Guy Buret.

Critique du film

Proposer un documentaire sur la course aux municipales est une idée formidable. Elle inclurait deux mouvements passionnants : l’élaboration d’un programme régulièrement détaché des élections macroscopiques, mais aussi permettre de faire exister la commune au sein de communautés de villages disparates, aux objectifs parfois diamétralement opposés. Dans un registre cinématographique, tourner dans une petite zone comme celle-ci permet un déplacement plus libre que dans une grande ville nimbée par les secrets professionnels, mais capturer ses petits instants peut toujours faire valoir l’existence de ces petits territoires en manque de visibilité face aux grandes villes qui les entourent et les dominent. Il suffit de voir, outre-Atlantique, les superbes réunions communales de Monrovia, Indiana de Frederick Wiseman pour se rendre compte de tout ce qui peut être traité dans une petite ville manquant d’impact face à ses voisines.

Durant ses premières minutes, La campagne de France évoque ses détails importants et attisent la curiosité. Rares sont les moments où la ville existe comme élément indépendant, détaché d’un ensemble plus vaste. Un panneau indiquant Châtellerault, Loches ou Châteauroux est régulièrement visible à l’image, ne faisant exister la commune filmée que par rapport à plus grand qu’elle. Les voitures et les camions filmés présentent en filigrane une fuite immédiate, sans arrêt au sein de ce village nommé Preuilly-sur-Claise, renforçant de fait un aspect crucial pour les élections municipales filmées à l’époque. En outre, certaines interviews menées par l’équipe de tournage donnent l’illusion d’un mimétisme avec des candidats aux élections présidentielles, reflétant l’idée cinématographique d’une boîte de Pétri observée attentivement pour tenter d’y dévoiler les préoccupations locales et nationales de ces personnes, parfois presque personnages.

Toutefois, le long-métrage patauge dans de multiples axes narratifs qu’il ne parvient jamais à relier narrativement. Fidèle aux personnages qui ont cimenté ses précédents longs-métrages, le réalisateur Sylvain Desclous remet un état des lieux qui n’a pas grand intérêt quant au sujet de son film. L’intervention subreptice de Jacky, alcoolique notoire déjà vu dans le moyen-métrage La peau dure du même cinéaste et jurant qu’il ne vote que pour « faire le bien », marque bien la difficulté du traitement global : habitant hors de la commune, son regard et son lieu d’habitation sont très détachés du reste du projet ; il ne semble apparaitre que par pur plaisir pour Desclous et petite curiosité mal placée pour nous, non par moyen d’étoffer de quelque manière que ce soit la course au siège de Preuilly.

La campagne de France

UN EFFEUILLAGE LIMITÉ

Le réalisateur du film indiquait que le sujet de son documentaire s’est progressivement transformé durant le tournage, lorsqu’il suivit de plus près la campagne d’un candidat timide et parfois lunaire du nom de Mathieu Barthélémy. Cheveux longs, alopécie naissante, consultant en start-ups spécialisées dans l’intelligence artificielle : sa personnalité et son physique détonnent au sein d’une population de plus en plus vieillissante. Aussi le suivons-nous lors de discussions avec les membres de sa liste – dont le truculent Guy, bras droit de Mathieu et individu clivant au sein de Preuilly – et de rencontres avec les habitants. Le souci est que l’approche cinématographique rend ce changement brutal de sujet flagrant, via un montage elliptique qui ne parvient pas à suffisamment faire vivre les scènes, à dépasser le stade de l’anecdote et du mécanisme évident des élections municipales.

Impossible de déterminer s’il s’agit de problèmes d’autorisations de tournage ou de manque de matière suffisante pour tenter de dévoiler la petite agitation des événements du village, mais l’ensemble souffre d’un manque criant de développement et de vie dans le champ ou hors-champ.

Pourquoi toujours s’interrompre au bout de deux rencontres lors d’un marché ? Laisser à l’écran les longues et multiples discussions entre gentilés aurait permis de dépouiller en profondeur tous les individus du documentaire, permettant d’en déduire ce qu’ils sont ou ne sont pas, ce qui les anime ou non, ce qui révèle du dialogue mécanique ou de l’attachement viscéral aux valeurs propres à chacun. Des ambivalences, des tensions et points de vue poignent mais sont trop vite avortés par des coupes incessantes et frustrantes. L’absence de plus grande substance dans le corps de film rend le projet très vain mais le pourvoit surtout d’une grande maladresse, ne permettant pas de saisir, sous la surface des choses, ce qui plaisait vraiment au réalisateur dans son dispositif. Sylvain Desclous souhaitait peut-être s’inscrire dans la veine de l’émission Strip-Tease, ce qu’il propose n’est hélas qu’un effeuillage limité.

Bande-annonce

9 mars 2022 2022 – De Sylvain Desclous




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