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L’INDE FANTÔME

Ce documentaire se divise en 7 épisodes d’une durée respective d’environ 50 minutes, chaque segment reflète les problèmes politico-culturels de l’Inde.

Critique

En 1968, Louis Malle part en Inde durant quatre mois, de janvier à avril, accompagné du directeur de la photographie Etienne Becker et de l’ingénieur du son Jean-Claude Laureux. Cette petite équipe va sillonner un pays qui n’était pas à l’époque une destination très commune. Louis Malle, qui traversait alors une période difficile, avec pas mal de problèmes et préoccupations personnels, souhaitait comprendre la question des castes dans la société indienne, son fonctionnement et les répercussions dans la vie quotidienne. Mais ce projet fut vite abandonné. De même, au départ le réalisateur voulait donner des indications de mise en scène, anticiper sur la façon de filmer, de saisir les choses, les gens, les événements. Puis, là-aussi, un changement total eut lieu : le choix de l’improvisation, du cinéma vérité – qui étaient déjà le domaine de Jean-Claude Laureux et Etienne Becker – l’emporta. Et c’est d’ailleurs « Un film de hasard et de rencontres » qu’annonce Louis Malle dès les premières minutes de cette œuvre précieuse et passionnante

Louis Malle écrivait paraît-il beaucoup sur le tournage. Sur ses impressions, cette expérience unique, marquante. Le film, d’une durée totale de près de six heures et subdivisé en sept parties, constitue un ressenti de ce metteur-en-scène sur l’Inde, mais aussi un portrait de cet homme, qui à travers ses découvertes, son émerveillement, ses interrogations ou ses déceptions, ses craintes, finit par se dévoiler. 

Episode 1 : La Caméra impossible 

Dans cette première partie, Louis Malle évoque l’impudeur de celui qui filme. En saisissant au vol des moments de vie, de labeur, il parle de l’équipe dont il fait partie comme de brigands qui s’immiscent dans le quotidien de femmes qui travaillent durement ou de bergers. Les images sont pour l’époque très rares et conservent toute leur valeur, car comme il est expliqué par le commentaire du réalisateur, ici nul folklore, ou attraction pour touristes : la télévision est très rare dans une grande partie des villages indiens en 1968. Les cérémonies, les fêtes auxquelles les trois hommes assistent sont authentiques, dénuées d’artifices. On assiste dans cette première partie à une rencontre avec deux jeunes beatniks qui donnent leur vision de la société et reflètent bien l’attrait qu’avait ce pays vers la fin des années 1960 et au cours des années 1970. 

Episode 2 : Choses vues à Madras 

Dans cette partie, on assiste entre autres à un moment impressionnant où une grande procession autour d’un immense chariot sculpté provoque la transe collective, la frénésie de la foule et les gestes répétés durant 5 heures par les fidèles. Ce moment semble contagieux au point d’envahir l’équipe. Louis Malle dit que le temps cesse d’exister. Cet épisode nous permet aussi de découvrir un cinéma très éloigné de la réalité et très attaché à certains critères et préjugés raciaux – dans le cinéma populaire indien, on préfère les peaux blanches. Une représentation d’une pièce de théâtre satirique s’attaquant à la bureaucratie de New Delhi ou des images de danses traditionnelles viennent souligner les points communs, mais aussi le fossé qui peuvent exister entre deux cultures. Si la pièce évoque la similitude qu’il peut y avoir dans certains divertissements et les problèmes politiques – lenteur, corruption -, l’explication des danses traditionnelles très codifiées nous fait comprendre que ce qui apparaît pour les occidentaux comme un spectacle représente pour les indiens une véritable cérémonie. 

Episode 3 : La Religion 

Pour beaucoup, l’Inde représente un pays riche de spiritualité, de religion, voire parfois d’ésotérisme, d’occultisme. On verra dans cette partie différents aspects de cette soif de spiritualité ou d’absolu, qu’elle apparaisse compréhensive pour un esprit occidental – recherche de la sagesse auprès d’un homme comme Ramana Maharshi, dont on voit ici un des premiers disciples – ou totalement exaltée et choquante pour nos contrées comme ce yogi à la langue transpercée et au corps torturé. Louis Malle ne se prive pas de démythifier certains de ces aspects, précisant qu’one st parfois rançonné dans les temples et que les prêtres sont cupides. Certaines cérémonies sont filmées pour la première fois. Et il faut négocier et payer pour pouvoir le faire parfois. On s’étonne d’ailleurs dans ce pays que l’équipe s’intéresse plus aux fidèles qu’à l’édifice en lui-même. 

Episode 4 : La Tentation du rêve 

On sent que Louis Malle est passé durant ce périple par différents points de vue. Sa curiosité fait parfois place à de la tristesse. Car ce pays immense et complexe offre des situations contrastées et extrêmes. Et la surface des zones vierges s’amenuise de jour en jour. Déjà en 1968, Louis Malle constate que l’homme moderne détruit l’environnement, la vie naturelle et sauvage. L’exploitation des ouvriers, des paysans est également largement évoquée et commentée. L’extinction progressive de certaines espèces animales aussi. 

Episode 5 : Regards sur les castes

Le système de caste s’avère ancré presque inconsciemment dans la mentalité indienne. Comme si rien ne pouvait faire douter les habitants de ce pays de la légitimité et de la cohérence de cette organisation de la société. La notion de liberté individuelle est pour ainsi dire inconnue. On s’en tient au Dharma, c’est-à-dire à son devoir, au rôle que l’on doit jouer dans la société. Nouveau choc des cultures avec une cérémonie funéraire où n’apparaît aucune trace de tristesse. On découvrira également des conseils de villages qui devraient comporter dans leurs rangs une femme et un intouchable, quotas pas forcément respectés.

Episode 6 : Les Etrangers en Inde : 

Dans cette partie, Louis Malle et son équipe nous font découvrir des tribus aborigènes comme les Bondos, qui refusent la vaccination et d’envoyer leurs enfants à l’école. Et qui ne considèrent nullement la vache comme un animal sacré. Louis Malle nous parle de visages tristes. On a volé leurs terres aux représentants de ce peuple appelé à disparaître, en 1968 ; qu’en est-il aujourd’hui ? On fait également connaissance avec les Todas, peuple qui n’a jamais fait la guerre, ne sait pas ce qu’est une arme. Le reboisement les condamne à avoir un territoire de plus en plus limité. Et à renoncer à leur mode de vie traditionnel. 

Episode 7 : Bombay 

Cet ultime chapitre nous fait découvrir Bombay, ville portuaire et capitale économique. Ville de contraste, avec ses habitations parfois impersonnelles et ses bidonvilles. Louis Malle affirme lors de cette partie que même au bout de quatre mois, on ne peut se faire à l’extrême misère qui règne en Inde. Dans les usines, on ne trouve aucun syndicat : le système des castes semble avoir rendu tout un peuple résigné et habitué aux inégalités sociales. 

« En Inde, nous aurons fait la découverte émerveillée d’une autre façon d’être, une autre façon de vivre et de voir les choses » : ainsi parle le réalisateur à l’issue de son document.  

L’Inde fantôme : réflexions sur un voyage constitue un document fleuve exceptionnel, qu’il s’avèrera certainement nécessaire de visionner plusieurs fois pour en apprécier toute la portée et la richesse. Certaines parties marqueront ou fascineront plus que d’autres. Mais toutes sont passionnantes, suscitent la curiosité, la réflexion. Et sont un fabuleux témoignage sur un pays, sa culture d’une profonde complexité et qui garde malgré tout l’intégralité de son mystère et de son pouvoir de fascination.

L’Inde fantôme, réflexions sur un voyage sortira en salle le 8 février, sous l’impulsion du distributeur Malavida grâce à des images numérisées par Gaumont. Il s’agit d’une œuvre unique que l’on ne peut que conseiller à tous les publics, mêlant à des images d’une grande beauté plastique des éléments historiques, culturels, religieux, ethnographiques, politiques, sociaux et écologiques. 


8 février 2023Louis Malle


© Photos promotionnelles validées par Gaumont & Malavida



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