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L’IMPASSE

New-York, 1975. Libéré après cinq ans de prison grâce à son avocat corrompu, le truand portoricain Carlito Brigante rentre chez lui dans le quartier espagnol de Harlem. Il souhaite quitter le banditisme pour prendre sa vie en main. Mais ses anciens complices ne sont pas de cet avis…

Critique du film

« Escape to Paradise ». Carlito Brigante, depuis un brancard, fixe cette publicité rougeâtre, seule touche de couleur de la séquence d’ouverture du film. Une femme danse devant l’océan éclairé par le soleil couchant. L’ambiance crépusculaire de L’Impasse (Carlito’s Way en VO) est immédiatement posée. Tous les rêves de cet ancien baron de la drogue sont rassemblés sur cette image, mirage inaccessible qu’il voit s’évanouir sur son lit de mort. Impuissant, le protagoniste se remémore ses derniers instants. Une semaine avant, le Portoricain était libéré de prison et se jurait d’arrêter ses activités criminelles pour se reconstruire aux côtés de la femme de sa vie.

En annonçant la mort de son personnage dès les premières minutes du long-métrage, Brian De Palma nous met face à cette fatalité, à ce dénouement inéluctable : Carlito Brigante ne sortira pas de cette impasse, peu importe ses futurs choix. Petit à petit, l’ancien truand renommé va devoir laisser sa place. En cinq ans, la légende de Harlem a été remplacée par des petits brigands devenus des barons, qui ont troqué leur honneur pour l’appât du gain. Le cannabis est dépassé, la cocaïne a pris les commandes. Les boîtes de nuit sont devenues les théâtres des plus gros deals de drogue du quartier. Carlito est obsolète. Il n’avancera jamais plus vite que cette tornade de nouveautés.

Dix ans après le classique intemporel Scarface, le duo Brian de Palma – Al Pacino revient avec un film diamétralement différent. Considéré aujourd’hui comme l’un des plus grands films de son réalisateur et malgré sa mauvaise réception à sa sortie, les années ont fait du bien à L’Impasse, pourtant dénonciateur du temps qui passe et des conséquences de la surconsommation constante. Sean Penn, méconnaissable, est parfait dans son rôle d’avocat véreux. Penelope Ann Miller, interprète avec splendeur l’envoûtante Gail. Difficile de ne pas penser à sa danse hypnotisante, bercée par la voix de Joe Cocker. Sa performance crédibilise un peu plus la perte de contrôle totale de Carlito face à la femme de sa vie.

Plus poétique et plus tragique que Scarface, L’Impasse deviendra, avec le temps, une référence du film noir. Après avoir tué Tony Montana, malfrat cubain dont les ambitions ont causé la perte, De Palma décide de donner à son nouveau protagoniste une trajectoire opposée : le Portoricain a déjà connu la gloire et lui préfère désormais un rêve plus raisonnable. Al Pacino quitte l’insouciance de Tony pour la maturité de Carlito, dont le sort ne sera pas différent.

Boulevard of Broken Dreams

Cette fatalité annoncée entraine la méfiance constante du spectateur, qui s’attache indéniablement à Carlito tout en espérant, en vain, une autre conclusion. Le Portoricain, comme nous, est pourtant à l’affut : il analyse chaque comportement louche, chaque discussion de ses rivaux pour tenter de les comprendre et de les outrepasser. Autour d’un billard, dans une boîte, dans une gare : tous faillissent à leur tâche de le faire couler. C’est lui-même, en refusant d’appliquer ses propres principes, qui se précipite dans la tombe. La trahison frappe là où l’on ne l’attendait pas, implacable, et ne laisse aucune issue.

Ce portrait d’un homme qui défie la mort est sublimé par la prestation dantesque d’Al Pacino, presque habité par ce rêveur en décalage avec son époque. La photographie constamment renouvelée et la caméra irréprochable de De Palma entraînent son film dans une autre dimension, faisant de lui l’un des plus grands du genre. La marche funèbre de Carlito se termine de la plus belle des manières, par un plan-séquence à l’ingéniosité déconcertante, alors que le protagoniste tente de semer les mafieux à travers les escalators de Grand Central.

Et nous revoilà face au regard compassionnel d’Al Pacino. « Escape to Paradise ». Cette fin annoncée et redoutée pendant plus de deux heures arrive et nous laisse, impuissants, face à cette affiche publicitaire. Mais Carlito n’a pas échoué. La femme de sa vie peut enfin s’épanouir, loin du milieu hostile new-yorkais qu’elle ne parvenait pas à combattre. Et l’affiche prend vie. Gail tourbillonne devant ce coucher de soleil, sous les yeux livides du protagoniste qui ne le reverra plus jamais se lever. À force de courir aveuglément après son rêve, Carlito a précipité son chemin vers la nuit infinie.


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