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L’HISTOIRE DE MA FEMME

Jacob est capitaine au long cours. Un jour, il fait un pari avec un ami dans un café : il épousera la première femme qui en franchira le seuil. C’est alors qu’entre Lizzy…

Critique du film

Caméra d’or à Cannes en 1989 pour son premier long-métrage, Mon XXème siècle, la réalisatrice hongroise Ildiko Enyedi est devenue une cinéaste de premier plan avec ce seul film. Sans avoir conquis le grand public, ni brillé dans les grands festivals internationaux avant son Ours d’or à Berlin en 2017 pour Corps et âme, elle est demeurée une référence dans l’univers de la cinéphilie contemporaine. Retrouver son nouveau projet, L’histoire de ma femme, en compétition officielle à Cannes est à la fois une surprise mais aussi une joie car c’est l’occasion de redécouvrir son écriture autour de l’omniprésente Léa Seydoux et de Gijs Naber, qui forment un couple des plus tempétueux.

L’histoire se classe parmi les nombreuses adaptations de romans qu’a compté cette édition cannoise de 2021, ici un texte datant de 1942 du hongrois Milan Füst. Tout commence sur un pari. Le capitaine de navire Jakob Störr vit de plus en plus difficilement sa vie de marin confiné de longs mois loin de la terre ferme. Après une déjà longue carrière à ce poste, une certaine lassitude s’est installée, son appétit s’en ressent et un certain spleen l’envahit. Une remarque de son cuistot, sur son célibat qui serait peut-être la racine de ses tourments, le pousse à une audace, épouser la première femme qui franchira la porte de l’établissement où il se trouve pour se rafraîchir avec un ami. Sur cet aléa banal commence son aventure avec Lizzy, qui accepte de l’épouser malgré les contraintes liées à la vie avec un homme souvent absent.

Les histoires d’amour finissent mal…

Cette première rencontre est fondatrice, la réalisatrice filme Lizzy dans tous ses détails, soulignant son amusement face à cet homme qui l’aborde si étrangement, sans filtre ni excuse. Sa capacité à accepter cette drôle de proposition intrigue, et l’idée qu’il y a plus qu’il n’y paraît dans cette scène demeure à l’esprit. On comprend vite que, si elle accepte aussi vite, c’est qu’elle voit dans ce prétendant une opportunité. Femme active, mondaine, adorant manier et manipuler son petit monde, elle impressionne par sa vitalité et sa capacité à toujours rebondir. Ildiko Enyedi découpe son histoire en une multitude de vignettes qui vont former une tapisserie des plus fascinantes. Les scènes s’entrechoquent, se succèdent, laissent la place à de petites histoires intermédiaires, mais toujours nous revenons au couple central, qui fonctionne de plus en plus mal.

La capacité à créer des situations qui rebattent les cartes d’un jeu imprévisible est la grande force du film. Dans une logique presque ludique, on reprend tout du début avec ces deux protagonistes à mesure qu’une nouvelle scène est enclenchée, sous la forme d’un chapitrage à la forme très classique, mais aussi très élégante. C’est un mot qui convient à merveille à L’histoire de ma femme et à la mise en scène qui, si elle ne force pas le romanesque, brille par sa simplicité et son efficacité, tournant autour d’une Léa Seydoux très joueuse, Gijs Naber incarnant quant à lui ce mari jaloux avec beaucoup d’intensité. Il faut aussi souligner la qualité des seconds rôles, personnages qui, comme Dedin joué par Louis Garrel, hante le film en fil rouge intermittent qui resurgit au moment opportun pour donner un coup de fouet à l’intrigue et l’empêcher de s’empâter dans un récit conjugal qui en deviendrait lassant.

D’une facture classique, ce nouveau film d’Ildiko Enyedi ne manque pas de charme et d’audace malgré tout. Sa composition éclatée en moments plus ou moins éloignés les uns des autres, comme une succession de lettres ou de nouvelles, apporte du rythme et de la vie. L’autrice joue avec la capacité à faire douter le spectateur sur la vérité de qui est montré. Il est assez délicieux de voir la perversité de Lizzy à jouer avec son époux, et au regard de la réalisatrice qui ne la juge jamais vraiment, nous amenant à penser dans un final tragique, qu’elle fut plus qu’une simple manipulatrice et une caricature. Beau personnage au contraire, Lizzy reste une enigme, jamais vraiment là où on croyait la trouver, notamment dans le cœur d’un Jakob désabusé.

Bande-annonce

16 mars 2022 – De Ildiko Enyedi, avec Léa SeydouxGijs NaberLouis Garrel


Cannes 2021 – Compétition




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