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L’HISTOIRE D’ADÈLE H.

Adèle, fille cadette de Victor Hugo, partageait avec son père le talent pour l’écriture. Elle raconte notamment son amour, jusqu’à la folie, pour un officier qui n’éprouve aucun sentiment pour elle…

 

Quatrième collaboration scénaristique entre François Truffaut et Jean Gruault, L’Histoire d’Adèle H. porte l’empreinte de leur travail en commun. Adaptation d’une œuvre littéraire (la publication du Journal d’Adèle Hugo par Frances Vernor Guille en 1968) comme tous les scénarii du duo, le film s’inspire de faits réels au même titre que L’Enfant sauvage, et met en avant la violence du sentiment amoureux (comme Les Deux Anglaises et le continent ou même Jules et Jim) jusqu’à l’obsession et la folie (qui transparaissent également dans La Chambre verte).

Les deux auteurs se sont en effet basés sur l’histoire de la fille cadette de Victor Hugo, hantée par la mort de sa sœur Léopoldine lorsqu’elle avait treize ans et atteinte de troubles psychiques, notamment d’érotomanie. C’est ce dernier point qui va servir de trame principale au film, qui raconte la fuite d’Adèle de Guernesey vers Halifax pour suivre un lieutenant britannique, Albert Pinson, pour lequel elle voue un amour sans faille, mais malheureusement à sens unique. Là-bas, elle va le harceler pour qu’il l’épouse, sans succès mais en annonçant néanmoins à ses parents que le mariage a eu lieu. Même lorsque son mensonge sera découvert, Adèle persistera dans son entreprise jusqu’à rejoindre la Barbade où le lieutenant a été affecté. Sombrant dans la folie, elle finira par être rapatriée en France et être internée.

De cette histoire tragique de la fille méconnue de Victor Hugo, Truffaut va tirer un film romanesque entièrement centré sur son héroïne et ses tourments intérieurs. C’est très probablement l’amour absolu qu’Adèle porte à son lieutenant qui a tout d’abord éveillé l’intérêt du cinéaste, une passion tellement forte qu’elle va emporter la raison de la jeune fille. Truffaut trouve ainsi en Adèle un personnage féminin totalement en accord avec ceux qui jalonnent une grande partie de sa filmographie. Il la façonne d’ailleurs comme telle, en ne racontant le récit que de son point de vue, ne la jugeant jamais de manière objective, mais ayant au contraire un regard bienveillant sur elle et sur la passion qui dicte ses actes.

L'histoire d'Adèle H.

Truffaut n’a d’ailleurs jamais filmé d’aussi près son sujet, comme happé par son héroïne, et son actrice. Le cinéaste, subjugué par la comédienne après l’avoir vue dans La Gifle, n’a pas hésité à enlever plus d’une dizaine d’années à Adèle pour qu’Isabelle Adjani campe le rôle, « n’ayant jamais, à l’exception de Jeanne Moreau, senti un désir aussi impérieux de fixer un visage sur la pellicule ». L’actrice, elle, abandonne sa carrière à la Comédie-Française pour tourner le film. Si le tournage se révèle douloureux autant pour le réalisateur que l’actrice, le pari se révèle plus que gagnant tant la jeune comédienne, filmée par un Truffaut envoûté, imprègne la pellicule par l’intensité de son jeu, d’autant plus frappante compte tenu de ses tout juste 19 ans. Ce contraste impose une force extraordinaire au personnage qui apparaît à la fois dicté par la naïveté de sa jeunesse et mû par une détermination empreinte de maturité. Une prestation fondatrice dans la carrière d’Isabelle Adjani qui lui valut ses premières nominations aux César et aux Oscars, et l’a imposée d’emblée comme une immense actrice.

Au-delà de la passion amoureuse, la quête d’Adèle passe aussi par une volonté d’émancipation. Jeune fille ayant grandi dans l’ombre d’un père et d’une grande sœur, elle quitte sa famille pour Halifax où elle se fait passer pour une autre en rêvant désespérément de changer officiellement de nom. Pour autant, elle ne coupe jamais les ponts avec sa famille, dépendant financièrement d’eux, et la voie qu’elle choisit pour affirmer sa personnalité vient directement de son héritage paternel. Adèle couche sa vie et ses émotions sur le papier et se rêve écrivaine. Répondant à la définition romantique de l’artiste, elle trouve son inspiration dans ses souffrances et finit par se perdre sur le chemin de sa quête personnelle, devenant dans le dernière partie du film étrangère au monde qui l’entoure, fantôme errant dans une dimension parallèle, chimérique. Celle qui voulait écrire sa destinée, finira ainsi oubliée par l’Histoire, jusque dans sa mort, survenue en pleine Première Guerre Mondiale. En mettant Adèle au centre de son film, en adoptant son point de vue exclusif, François Truffaut fait à son héroïne le cadeau d’une reconnaissance qu’elle a toujours cherché à atteindre.

Adèle apparaît également au cœur de la mise en scène de Truffaut. Par ses plans resserrés sur le visage d’Isabelle Adjani d’abord, ensuite par le peu de perspective qu’elle offre au-delà du personnage d’Adèle. L’action a beau se passer à Halifax, Truffaut ne propose pas d’horizon à son héroïne, mais l’enferme le plus souvent dans des scènes d’intérieur. Lorsque l’action se passe à l’extérieur, c’est soit de nuit, soit pour soumettre Adèle à la météo hivernale, grise, venteuse d’Halifax. Et lorsqu’à la fin, le film prend pour cadre le climat plus clément de la Barbade, c’est pour en soutirer un luminosité écrasante et une chaleur étouffante, enfermant Adèle dans la fièvre de la folie. Le spectateur n’a alors d’autre choix que de sombrer avec elle. L’ultime plan, en flashback, le ramène cependant à une Adèle plus jeune, encore pleine d’espoir, pouvant encore tourner son regard vers l’horizon, offrant à l’héroïne une renaissance pour l’éternité.


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De retour au cinéma le 3 août 2022



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