L’enlèvement

L’ENLÈVEMENT

En 1858, dans le quartier juif de Bologne, les soldats du Pape font irruption chez la famille Mortara. Sur ordre du cardinal, ils sont venus prendre Edgardo, leur fils de sept ans. L’enfant aurait été baptisé en secret par sa nourrice étant bébé et la loi pontificale est indiscutable : il doit recevoir une éducation catholique. Les parents d’Edgardo, bouleversés, vont tout faire pour récupérer leur fils. Soutenus par l’opinion publique de l’Italie libérale et la communauté juive internationale, le combat des Mortara prend vite une dimension politique. Mais l’Église et le Pape refusent de rendre l’enfant, pour asseoir un pouvoir de plus en plus vacillant…

CRITIQUE DU FILM

Réalisateur chevronné actif depuis 1965 et son sublime Les poings dans les poches, Marco Bellocchio connaît une sorte de seconde jeunesse (à bientôt 84 ans), depuis la présentation en compétition officielle de Le traitre en 2019. S’il n’a jamais cessé de réaliser des films, le maître italien a vu un regain d’intérêt, tant critique que public, et une mise en lumière de la grandeur de sa mise en scène. L’enlèvement (Rapito), est un projet qui avait, à l’origine, été développé par Steven Spielberg et son scénariste attitré Tony Kushner. Située à Bologne au milieu du XIXème siècle, cette intrigue puise autant dans l’intimité d’une famille juive, les Mortara, que dans un moment crucial de l’histoire du pays, l’unité italienne se concrétisant dans le même temps que l’influence du Pape diminue. Les prémisses de cette histoire présentent le râle des méfaits de l’Inquisition bolonaise, et l’enlèvement d’un enfant qu’on aurait baptisé à l’insu de sa famille.

La narration du film est très linéaire, un carton présente l’année où se déroule la scène, des six ans du petit Edgardo jusqu’à sa majorité. Les deux axes majeurs du film tournent autour à la fois de la fièvre familiale qui pousse par tous les moyens possibles Rome à leur rendre leur fils, et de l’autre cette marche de l’Histoire qui voit pour la première fois s’implanter un pouvoir séculier fort dans la péninsule italienne, reléguant l’Eglise et son pape Pie IX dans un rôle plus spirituel. On reconnaît les accents très « spielbergiens » de la première partie, avec une attention portée sur la famille Mortara, offrant une scène magnifique qui voit la mère « forcer la main » des troupes pontificales pour enfin pouvoir s’entretenir avec son fils. Celui-ci, déjà très absorbé par sa nouvelle communauté, revient l’espace d’un instant auprès des siens, jurant qu’il récite toujours chaque soir en hébreu ses prières juives qu’il n’a pas oublié. Cette lutte entre les religions et la peur des limbes, auxquels sont condamnés les non-baptisés au moment de la mort, prend des atours tragiques avec l’abandon d’Edgardo à sa nouvelle maison.

Rapito

Pour rendre toute la dramaturgie de cette conversion et de la violence de la déchirure familiale, Bellocchio utilise à son paroxysme l’ambiance sonore et la musique, qui est un personnage à part entière de ces scènes où le rythme s’accélère et où on assiste à une sorte de métamorphose chez le petit garçon, bon élève et prêt à tout pour s’adapter à son nouvel environnement. Ce nouvel élève du saint Père est une « prise » politique pour son pouvoir déclinant. Face à la pression internationale, qui s’exerce jusqu’aux Etats-Unis, siège d’une vaste diaspora juive, le Pape en fait une question de principe : il n’est pas question de plier et de rendre Edgardo aux Mortara, il est le berger légitime de la Sainte Eglise et, à ce titre, ne doit de comptes à personne. Paolo Perobon joue Pie IX, rôle magnifique qui personnifie la fin de la main mise catholique sur l’Italie et sur Bologne, qui en se libérant en 1868, met fin à des siècles d’Inquisition.

Si le film manque d’un « laisser aller » et d’une liberté dans le geste de mise en scène, qui caractérisait un projet comme Le traitre, on reconnaît la grandeur et toute la classe de Bellocchio, qui réussit ici aussi une orchestration virtuose de cette lutte de pouvoir qui voit une famille être l’une des dernières victimes du Vatican. Le constat final montre cet homme en habit d’Eglise se battre contre sa famille, confronté à son propre endoctrinement, révélant le coté sectaire de cette « contre-éducation » qui, jusque dans les derniers instants, sépare plutôt qu’elle ne rassemble. La dignité de Barbara Ronchi sur son lit de mort est une note ultime qu’il est dur d’oublier et qui reste longuement dans l’esprit après le générique venu.


De Marco Bellocchio, avec Barbara Ronchi, Filippo Timi et Fabrizio Gifuni.


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