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L’ENFER DU DIMANCHE

Tony d’Amato est l’entraineur des Miami Sharks, franchise de football américain à la dérive. Méprisé par sa jeune direction, raillé par les journalistes pour ses carnets de jeux vus comme désuets, ce coach pourtant mythique trouve son salut en la personne de Willie Beamen, jeune quarterback inconnu aux systèmes de jeu instinctifs et novateurs. Avec le reste d’une équipe vieillissante, ils vont tenter d’arracher au nez et à la barbe des autres franchises la tant convoitée Pantheon Cup.

CRITIQUE DU FILM

L’Enfer du dimanche est soumis à deux comparaisons immédiates. Le film d’Oliver Stone se présente à la fois comme un film de guerre, à la fois comme un péplum – deux genres que le réalisateur a croisé ou croisera dans sa carrière. L’enfer du dimanche est un film de guerre, parce qu’il fait l’éloge de la blessure, de la violence, du sacrifice, de l’accélération du conflit et du respect d’une hiérarchie de plus en plus déconnectée d’un escadron qui ne contient que des mercenaires. L’enfer du dimanche est un péplum, parce qu’il se compare frontalement à Ben-Hur de William Wyler, parce qu’il est une représentation du spectacle et d’une nouvelle mythologie qu’il contient en son sein, circonscrivant l’espace du sport au stade en un espace télévisuel hédoniste hors du temps. Au fond, L’enfer du dimanche est une hybridation, parfois plus, transposée à l’aube du XXIème siècle.

“A NEW BREED OF ATHLETES AND MEN…”

L’ouverture de la saison de la NFL, ayant eu lieu dans la nuit du 11 au 12 septembre 2021, est un excellent prétexte pour parler de ce long-métrage longtemps décrié qui a retrouvé les honneurs au fil des années. Avant toute chose, des précisions s’imposent. Le football américain dans son essence peut être défini comme un sport de conquête. Un down (comprendre : une phase de jeu terminée) permet de redistribuer les cartes et de varier les stratégies pour percer les lignes de l’ennemi et continuer à avancer coûte que coûte. Avant même de marquer les points, il s’agit d’avancer 10 yards par 10 yards dans le camp adverse afin de pouvoir atteindre l’en-but. Immédiatement, difficile de ne pas comparer le jeu à une stratégie martiale, avec l’idée d’asseoir son territoire au fil des minutes afin de garantir sa domination. 

Factuellement, l’idée de la guerre trône déjà au sein du sport. Tout est un combat minute par minute, un choc, une action-clé, un réservoir à statistiques – possession, occupation, avancées… Oliver Stone va toutefois amplifier le phénomène par l’intermédiaire d’un « montage d’attractions » et discursif très cut qui va rendre l’ensemble agressif. L’introduction le montre instantanément : le générique présente des images d’archives de footballeurs avec un plan large sur un match sous la pluie – remarquable en termes de pure esthétique mais a priori anodin sur le papier. Une complainte élégiaque se fait entendre en off, comme un hommage solennel rendu à ces déclarés héros. Et tout de suite après, le déchaînement : un ballon posé au sol puis une série de formes abstraites, de couleurs se mettent à se mouvoir pour sursignifier la violence du terrain, la zone de guerre qui a lieu dans l’instant et les généraux passifs qui ne voient qu’un massacre se profiler en mondovision. 

Le cinéaste américain, lui-même vétéran de la guerre du Vietnam, se permet aussi quelques analogies bien senties dans ses plans de coupe, où de furtifs plans tournés en hélicoptère viennent capter le stade en hauteur comme un repérage qui constate la violence présente sur le territoire. D’autres exemples existent et font partie du champ lexical de la guerre : il y a la transcendance et la déformation de son corps pour un but quasi-mystique, les parades enjouées de ces héros après des victoires, une conférence de presse sur la stratégie économique et sportive à venir pour la franchise… tout ou presque se rapporte à quelque chose qui est plus que du sport : un combat de tous les instants avec une troupe dont le seul but est de détruire verbalement, sportivement et physiquement l’adversaire.

“… WELCOME TO THE 21ST CENTURY”

Comme nous l’avions dit en introduction, et même si la guerre est étroitement liée au spectacle, L’enfer du dimanche interroge aussi les nouvelles arènes. Finis les combats de gladiateurs, place à de nouvelles mythologies. Les nouveaux guerriers sont devenus affranchis, parlent plus de leur salaire que de la stratégie, font de l’itinérance pour faire étalage de leur fortune. L’effort n’est plus récompensé par le collectif mais par la valeur monétaire qui individualise encore plus les actants. Entre le rugueux défenseur Luther « Shark » LaVay qui met sa vie en péril pour toucher sa prime ; et le fantasque Julian Washington qui se plaint du jeu de son nouveau quarterback parce qu’il lui envoie moins de ballons et de facto réduit ses chances de toucher un salaire plus conséquent, l’on se rend compte que le film de guerre et le péplum font plus que s’hybrider : ils se parasitent l’un l’autre du fait d’un facteur X pécunier.

Force est de constater au fur et à mesure du long-métrage que le film se dévitalise et s’aliène par l’intermédiaire de nouveaux médias de masse ou autres logiques néo-libérales. Il n’est pas rare de voir les plus jeunes personnages du film être guidés uniquement par ce que le théoricien Guy Debord appelait « la psychogéographie » – une perception d’une portion de territoire par l’intermédiaire des vitrines de consommation de masse. Les passages de Willie Beamen à la télévision, la confusion entre un tournage de clip de rap et une publicité pour des barres protéinées, l’écran géant dans le stade qui brille de mille feux pour ne laisser apparaitre qu’une immense réclame… Un rappel évident aux innombrables coupures pub de la télévision états-unienne lors de la retransmission de matches, comme un moyen d’offrir un divertissement parallèle au sport et occuper le peu d’attention du spectateur qui peut lui rester, dans un principe de célérité permanente. L’instinct sur et en dehors du terrain est un simulacre, tout ou presque est perverti par le règne financier, aucun actant ne parvient véritablement à s’en dépêtrer. Une séquence présente même Julian Washington face à un jeune fan qui lui parle plus de sa paie que de ses exploits sur le terrain.

Que reste-t-il de la solidarité de l’équipe, de l’amour du jeu, quand l’argent viendra les séparer en fin de saison ? Les commentateurs en deviennent cyniques, les spectateurs se battent entre eux dans l’enceinte du stade, une masse uniforme s’anime pour des raisons qui échappent à la logique du sport et de la transcendance collective. Ces différentes séquences sont explicitées par l’intermédiaire de la dirigeante de la franchise, Christina Pagniacci (interprétée par Cameron Diaz), qui ne cherche qu’à faire de l’équipe une entreprise rentable commercialement et capable d’attirer le chaland tous les dimanches dans l’amphithéâtre de Miami-Dade. Ses conflits réguliers avec l’entraineur Tony d’Amato (Al Pacino dans l’un de ses derniers grands rôles), alcoolique et coupable de ne pas avoir vu l’époque changer, font le sel de cette confrontation entre passé et présent dans le monde du sport international.

Yard par yard, joueurs comme compagnes ou dirigeants se rendront compte de leur comportement vénal et opportuniste, reviennent aux fondamentaux que sont leurs familles, leurs passions communes, comme un retour à soi qui permet enfin de vaincre et triompher. Mais yard par yard, comme un aller sans retour, l’équipe se délitera fatalement une fois le contrat de chacun terminé. Comme le dit Tony D’Amato dans le film : « On se serre la main, et on boit une bière. » C’est ce qui restera de plus sain à faire, loin de toute cacophonie.


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