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L’ANGE

La fiche

Réalisé par Luis Ortega  – Avec  Lorenzo Ferro, Chino Darín
ArgentineDrame, biopic – Sortie : 9 janvier 2019 – Durée : 118 min

Synopsis : Buenos Aires, 1971. Carlitos est un adolescent de 17 ans au visage d’ange à qui personne ne résiste. Ce qu’il veut il l’obtient. Au lycée, sa route croise celle de Ramon. Ensemble ils forment un duo trouble au charme vénéneux. Ils s’engagent sur un chemin fait de vols, de mensonges où tuer devient bientôt une façon de s’exprimer…

La critique du film

D’un pas nonchalant, en patte d’éph’, un adolescent dégingandé aux boucles blondes et à la lippe vermeil avance dans les rues de Buenos Aires au début des années 1970. Il entre ensuite dans une maison par effraction, se sert du whisky, pioche dans la discographie avant de danser au milieu du salon. Lui, c’est Carlos Robledo, Puch, « Carlitos », l’un des plus célèbres tueurs en série qu’ait connu l’Argentine, kleptomane et désinvolte, responsable de la mort d’au moins 11 personnes. Mais avant de débuter son parcours meurtrier, Carlitos était d’abord un jeune homme bien sous tous ses rapports, virtuose du piano issu de la bonne bourgeoisie argentine d’origine allemande. De petit délinquant qui se fait virer d’une école à l’autre, Carlitos passe à tueur au sang-froid lorsque sa route croise Ramon, fils d’un malfrat local (incarné par le it-boy argentin Chino Darin) dont il s’amourache secrètement. Toujours en vie, il purge une peine de prison à perpétuité dans une prison argentine où il s’est paraît-il converti à l’évangélisme et prétend être un envoyé de Dieu.

En se penchant sur un fait divers qui a défrayé la chronique dans son pays natal, Luis Ortega propose avec cette vision du personnage, une autre façon d’être homme, une autre image de la virilité, plus ambiguë. Son Carlitos transpire l’érotisme et la mort. Il s’inscrit dans la longue lignée des jeunes éphèbes angéliques et malfaisants, beaux comme des David de Michel-Ange, de ceux incarnés par Helmut Berger à à l’adolescent blond pour lequel le héros se consume d’amour dans Mort à Venise. Lorenzo Ferrer qui incarne Carlos évolue dans un décor seventies aux couleurs saturées, où chaque plan est un tableau vivant et où le rouge, couleur du sang, est omniprésent, notamment sur les vêtements, voire ses sous-vêtements. L’esthétique est celle de ces polars qui transpirent la sexualité et le drame, comme les tous premiers films de Pedro Almodovar au début des années 1980. Le film est d’ailleurs produit par El Deseo, la maison de Pedro et Agustin Almodovar, qui a permis de faire connaître une Europe d’autres films argentins, dont Les nouveaux sauvages.

Kills like teen spirit

En 2015, Luis Ortega se penchait déjà sur les ressorts psychologiques du mal et du crime en adaptant en série El Clan, l’histoire vraie là aussi d’une famille de kidnappeurs sous la dictature argentine. « Carlitos » incarne un mystère : qu’est-ce qui pousse un jeune garçon a priori sans problème à se tourner vers le crime, comme les filles de la middle classe américaine qui rejoignirent la « famille » de Charles Manson ? Dans l’ouverture du film, le plan large de Carlitos au milieu d’un salon qu’il vient de cambrioler semble souligner sa solitude et sa mégalomanie, lui qui pense s’être élevé au-dessus du commun des mortels. On perçoit même chez Luis Ortega une obscure fascination pour ce personnage hors-norme, capable de s’affranchir aussi facilement du carcan de la morale. « Le monde appartient aux voleurs et aux artistes, fait-il dire à son héros. Les autres ne font que trimer ».

L'ange de Luis Ortega
Si dans la vraie histoire, Carlos Puch a demandé il y a quelques années à être transféré au pavillon des « homosexuels passifs » de sa prison, dans les faits, on sait en réalité peu de choses sur sa vie et sa sexualité avant son arrestation. Mais le réalisateur fait le choix, comme dans les romans de Jean Genet d’après-guerre, de reprendre une vision dépassée de homosexualité, amorale et forcément liée au crime et au mal. Symbole de cet entrelacement entre crime, mort et homosexualité: un chalumeau, sorte de symbole phallique qui sert à la fois à Carlitos à attirer l’attention de son futur complice, comme une façon de lui faire des avances. Puis plus tard à défigurer son complice suivant, comme une façon de rompre avec lui.

Dans L’Ange, Robledo Puch est à la fois féminisé et sexualité comme une femme. Il dit lui-même ressembler à sa mère quand elle était plus jeune. Lors d’un des premiers casses qu’il commet avec Ramon, on les voit tous deux se regardant dans la glace : Carlitos revêt des boucles d’oreille qu’il vient de voler et son complice, incarnation du macho hispanique, sort son flingue et s’exclame « Bonnie and Clyde ». Ce à quoi Carlitos répond : « Evita et Juan », en référence à la deuxième épouse du colonel Peron, sorte d’icône gay tragique avant l’heure. De même, lorsqu’il retrouve son ancien complice après l’avoir laissé tomber lors d’une arrestation, ce dernier ne l’appelle plus que « mon ex ».

D’accord, on connaît depuis Freud le lien entre désir et destruction. Avec ses boucles blondes et son air innocent, Carlitos incarne symboliquement l’Ange de la mort qui finit par détruire tous ceux qui s’approchent de lui. Ramon, avec qui il entretient une « bromance » ambiguë, est ainsi trahi, ses ambitions pour devenir une vedette de télé-crochet ridiculisées. Lorsqu’il s’endort en sortant de la fourche, Carlitos s’amuse à déposer leur butin sur son entrejambe, comme pour dire « voilà tes seuls bijoux de famille ». Mais c’est comme si Luis Ortega avait voulu plaquer sa vision démodée de l’homosexualité, si à contretemps, sur l’histoire de Carlos Puch. Il signe finalement un film moins audacieux qu’il n’y paraît, comme on en faisait en France il y a vingt ans, et qui aurait pu être tourné à l’époque où il se déroule tant il remet sur selle des clichés éculés – amants criminels, adolescent destructeur – ainsi qu’une vision sulfureuse de l’homosexualité.



La bande-annonce




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