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JEUNESSE EN SURSIS

Masha effectue sa dernière année de lycée. Elle traîne le plus souvent avec deux amis aussi anti-conformistes qu’elle, et tombe amoureuse d’une manière qui la force à sortir de sa zone de confort. Une histoire universelle sur la jeunesse ukrainienne qui trouve une résonance particulière dans le contexte actuel.

Critique du film

Pour son premier long métrage, la jeune réalisatrice ukrainienne Kateryna Gornostai livre une chronique lycéenne remarquable de sensibilité, un portrait de groupe dominé par les doutes et les interrogations d’où émerge Masha, jeune femme amoureuse et un peu perdue. La magnifique photographie d’Oleksandr Roshchyn enveloppe cette jeunesse d’une chaleur toute particulière, dernier feu d’une enfance à qui il faut définitivement tourner le dos, et première brûlure de l’âge adulte.

Cheveux courts légèrement blondis, grands yeux mélancoliques et sourire triste, Masha pourrait être la petite sœur de Louise qu’incarnait, il y a 30 ans, Judith Godrèche dans Paris s’éveille d’Olivier Assayas. À travers les pays et les époques, le cinéma a souvent su capter ce moment de bascule et de fragilité, le difficile passage à l’âge adulte, quand on n’a qu’un brouillon à opposer aux certitudes que semble exiger la réalité. Kateryna Gornostai a tenu à impliquer ses jeunes comédiens, issus d’un vaste casting sauvage, dans la construction de leurs personnages. En résulte un sentiment de vérité qui, par contraste, confère beaucoup de force à leurs faiblesses. Autour de Masha, la garde rapprochée est constituée de Senia et Yana. Senia est une jeune lesbienne en dépression, Yana est le garçon de cette mini bande, attiré aussi bien par les garçons que par les filles et traumatisé par la guerre du Donbass d’où il est originaire. Ces trois là sont inséparables, leur amitié est un cocon, un rempart et un refuge.

Jeunesse en sursis

Les amours, l’amitié, l’avenir, autant de sujets abordés face caméra, petites parenthèses dans le récit où la réalisatrice pose à ses personnages (et/ou à leurs interprètes) des questions intimes. Ces séquences improvisées tirent le film vers le documentaire, augmentant le récit d’une épaisseur sociologique et d’une forme de naturalisme aussitôt démentie par d’autres séquences, muettes et oniriques, où le terrain de badminton prend des allures de scène où le jeu devient chorégraphie. Dans ses thématiques comme dans sa forme, le film cherche à définir une zone à défendre, à sanctuariser un territoire insaisissable comme on délimite un corridor de sécurité sur un terrain de guerre. De guerre, il n’en est pas frontalement question, elle est tout de même évoquée au cours d’une scène de maniement des armes, symptôme déjà fort d’une génération qui se construit à l’ombre d’une terrible épée de Damoclès.

Bien que tourné avant l’invasion du pays par les troupes russes, il est difficile de ne pas penser à la guerre comme terrifiant hors champ qui attend ces personnages, de ne pas penser à ces actrices et acteurs en herbe dont l’avenir s’est brusquement obscurci, renvoyant le cinéma loin de leurs préoccupations. Pour autant, fallait-il renommer le film en raison du contexte ? Stop Zemlia (allusion à un jeu enfantin auquel se livrent les adolescents), le titre original, possédait une force mystérieuse complètement perdue avec ce nouveau titre qui paraît plus opportuniste qu’inspiré.

Jeunesse en sursis

Alors qu’arrive la fête de fin d’année, Masha se désespère de ne pas avoir su attirer sur elle le regard de Sasha pour lequel son cœur bat la chamade. Les baisers de réconfort et de répétition, échangés avec Yana et Senia, ne suffisent plus. Le dernier slow arrive, Masha trouvera-t-elle le courage du premier pas ? Ce qui pourrait passer, à l’écrit, pour un suspense famélique est transformé par la grâce d’un regard, par la puissance d’une atmosphère, par la justesse d’une vibration, en point d’orgue d’un film tout entier tendu vers l’éclosion d’une chrysalide.

On a cité Olivier Assayas, souvenons-nous qu’il a participé à la formidable aventure de la collection Tous les garçons et les filles de leur âge, neuf téléfilms produits et diffusés par Arte dans les années 90, réalisés par de jeunes cinéastes et interprétés par des comédiens débutants voire inconnus. Jeunesse en sursis est l’exact héritier de ce cinéma libre et clairvoyant, aussi authentique que douloureux. Autant dire qu’il réunit, à lui seul, un joli faisceau de promesses.

Bande-annonce

14 septembre 2022 – De Kateryna Gornostai
avec Maria Fedorchenko, Arsenii Markov, Yana Isaienko




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