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J’ETAIS A LA MAISON, MAIS…

Alors qu’il avait totalement disparu, Phillip revient à la maison au bout d’une semaine, blessé au pied, sans aucune explication ni un mot pour sa mère, Astrid. Profondément affectée et avec l’aide d’un professeur de Philip, elle cherche à répondre à des questions a priori insolubles : où était-il passé ? À quoi a-t-il bien pu vouloir se confronter ?

Critique du film

Dans son style bien à elle, constitué d’un récit fragmenté, de morceaux de vies tout à la fois panaches et lambeaux, Angela Schanelec offre un de ses films les plus aboutis, où le tranchant de l’écriture prend grâce à l’écran.

Silencieux ou saturé de mots, le cinéma d’Angela Schanelec, soit huit un total de huit longs-métrages, n’a pas son pareil pour exprimer une tension existentielle, fil rouge de séquences qui soufflent le chaud et le froid. Orly (2010) tenait de la ronde en filmant des aplats de vie dans une unité de lieu où le voyage prenait des airs d’échappatoire. Marseille (2004) imposait un regard inédit sur la cité phocéenne, théâtre d’un apprivoisement par l’intériorité. L’empathie et le malaise se rejoignent souvent dans J’étais à la maison, mais… deux sentiments dont les frictions semblent prendre racine au plus profond de l’âme.

J'étais à la maison, mais...
Dans un prologue allégorique, une scène champêtre met en scène un lapin, un chien et un âne. Le chien chasse le lapin puis le dépiaute négligemment sous le regard protecteur et miséricordieux de l’âne. Le malaise et l’empathie. Par la suite, le film s’articule autour d’Astrid, mère électrique, personnage coriace, sans autre séduction que son entièreté. C’est Maren Eggert, visage familier chez Schanelec, qui donne corps à cette femme d’abord rongée par l’inquiétude après la fugue de son fils. Oscillant entre détermination et abattement, colère et bienveillance, elle livre une prestation sobre et incarnée, toujours à la limite du point de rupture. Placés sous le signe de l’accablement, les personnages de Schanelec tentent de trouver légèreté, sur un vélo ou dans l’eau d’une piscine. Progressivement, une ligne de fracture se dessine, entre les enfants et les adultes.

Si la distance qui les sépare semble irréductible, Schanelec brouille les pistes en proposant une hypothèse de conciliation à travers la tragédie shakespearienne. La réalité – des élèves jouent Hamlet – s’ouvre à la fiction par la simple présence d’une couronne baladeuse.

L’art, comme vecteur du compréhension du monde, idée à nouveau avancée lors d’une séquence extatique au musée. Sur Let’s dance de David Bowie repris par M Ward, Schanelec filme les corps des visiteurs opérant une chorégraphie involontaire dont l’ironie constitue la beauté. Une parenthèse magique à laquelle succède une longue conversation sur l’art cinématographique au cours de laquelle Astrid s’enflamme. Du discours, la lumière semble surgir difficilement. Une autre conversation entre deux amants, pose peut-être la question fondamentale du film, avoir un enfant ou pas ? Lui ne comprend pas que l’amour ne trouve pas incarnation dans le désir d’enfant, elle pense que c’est une folie, se sent envahie de solitude.

J'étais à la maison, mais...
Astrid se sent-elle moins seule, avec sa fille à la piscine (superbe séquence où les personnage, fondus dans un plan très large, semblent être immanence absolue) ou quand elle flanque le fils et la fille dehors à bout de nerf ? C’est une autre séquence domestique qui apporte un contrepoint, la mère au milieu, fils et fille de chaque côté, répètent une chorégraphie. Leurs gestes maladroitement synchronisés disent toute la différence entre l’intention et la réalisation.

J’étais à la maison mais… n’est pas un film aimable, Schanelec n’a jamais été dans une démarche de séduction. C’est un film triste et brillant, théorique et incarné, de ces films qui laissent une trace longtemps après la projection, par flashes des fulgurances remontant à la surface. On peine alors à reconstituer le puzzle, mais certaines pièces marquent la mémoire de leur profonde empreinte. Au hasard, cet âne regardant par la fenêtre.

Bande-annonce

5 janvier 2022 – De Angela Schanelec
avec Maren Eggert, Jakob Lassalle, Franz Rogowski




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