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JEANNE LA PUCELLE

Depuis son plus jeune âge, Jeanne d’Arc entend des voix lui ordonnant de bouter les Anglais hors de France et de mener le Dauphin Charles à Reims. Confiante dans sa mission, la jeune femme persuade son seigneur, le sire de Baudricourt et le Dauphin en personne de lui confier une armée. Impressionné par autant de maturité et de courage, ce dernier accepte la requête de Jeanne, mettant ainsi le royaume en péril.

Très bonne idée de Potemkine que de proposer en ce mois de septembre une édition DVD et BluRay de Jeanne la Pucelle de Jacques Rivette, 25 ans après sa sortie en salle, alors que la version de Bruno Dumont est actuellement sur les écrans. C’est fort logiquement que la restauration a été supervisée par Irina Lubtchansky, grande directrice de la photographie et fille de William et Nicole à qui l’on doit l’image et le montage du film. 

La critique du film

Passer 5h30 en compagnie de Jeanne d’Arc, c’est l’invitation à laquelle nous convie Jacques Rivette. Un pari qui correspond à l’ambition de nous faire côtoyer le personnage sur la durée mais aussi de rendre compte du long parcours de Jeanne, de Donrémy à Rouen en passant par Vaucouleurs, Chinon, Orléans et Reims. 

Au long de ce parcours, le cinéaste s’intéresse autant voire davantage à l’inaction qu’à l’action. 

La Jeanne de Rivette, c’est une détermination à toute épreuve. Mue par un devoir (dicté par les voix de Sainte  Catherine, Sainte Marguerite et Saint Michel) elle « sait ce qu’elle doit faire » mais «parfois, ne sait pas comment le faire » Jeanne, en mission, passe son temps à convaincre mais aussi à attendre que les choses se mettent en place pour l’accompagner : gagner une escorte, lever une armée, décider une offensive. Jeanne tient son énergie de la foi, comme Don Quichotte tire la sienne de la fiction, pour autant elle n’avance pas aveuglément et Rivette attendra la toute dernière partie du film pour l’isoler dans le plan lorsque condamnée, elle dit lors d’une prière « Mon Dieu pardonnez-moi si je me sens si lasse à rester seule ».

Démythifier Jeanne d’Arc

Avant cela, Jeanne est toujours accompagnée, filmée à hauteur de femme (nombreux plans américains), montrée dans une très grande simplicité. Elle est naturelle, spontanée, laisse volontiers éclater un rire enfantin qui n’est pas sans rappeler l’Amadeus de Forman. C’est une jeune femme impatiente, impétueuse, sans instruction mais pas sans discernement. Le jeu de Sandrine Bonnaire (parfaite, légère, obstinée et habitée) et de ses partenaires est résolument moderne. Le film superpose plusieurs registres de langue, courant et familier dans les dialogues, soutenu et d’époque dans les séquences face caméra, superbement éclairées, que Rivette utilise comme moteur narratif, bonne manière de suggérer une scène sans avoir à la filmer, et comme socle historique puisqu’elles s’inspirent des témoignages du procès en réhabilitation puisés dans le livre de Régine Pernoud : Jeanne d’Arc par elle-même et pas ses témoins. 

Comportement, langage, scènes collectives, tout concourt à démythifier Jeanne d’Arc. Rivette en fait une héroïne de son époque mais surtout une femme engagée dans un processus qui la dépasse tentant par tous les moyens d’être à la hauteur de la  mission dont elle est investie. La femme déteste la violence et cependant sa quête va la transformer en cheffe de guerre. Une tension parmi d’autres qui enrichit et humanise le personnage. Le travail de Jacques Rivette sur la durée permet aussi de mesurer les transformations que Jeanne opère. À son contact, les hommes changent aussi. Elle réussit à convertir la concupiscence en respect, le scepticisme en conviction et gagner par sa bravoure l’admiration des soldats. Il n’en faut pas moins pour être saisi d’une étrange émotion compassionnelle quand Jeanne apprend sa condamnation à l’issue du procès à charge conduit par l’évêque Cauchon. Ce que donne Sandrine Bonnaire dans cette scène est très beau, le rire et les larmes et entre les deux, sur son visage fatigué, l’ombre d’un nuage providentiel.  

La liberté de ton, la reconstitution historique dépouillée, la prévalence de l’Homme sur le mythe mais aussi le soin apporté à l’image sont autant d’éléments du “style Rivette” que l’on retrouvera quelques années plus tard chez Rabah Ameur-Zaïmeche dont le formidable Histoire de Judas nous semble un digne héritier. Deux cinéastes éclairés à travers les générations par la famille Lubtchansky.

 


Test édition 2019 (Potemkine)

Les Bonus :

Entretien avec Pacôme Thiellement (21’)

L’essayiste livre sa vision du film à travers deux axes essentiels. Le premier consiste à tendre des miroirs entre Jeanne d’Arc et d’autres figures féminines de la filmographie de Rivette, Anne (Paris nous appartient), Céline et Julie, de Lucie (Duelle) et la Bande des Quatre. Le second évoque une vision de Jeanne qui parle à la jeunesse comme Rimbaud parle aux poètes.

Entretien avec Olivier Bouzy (22’)

L’historien médiéviste revient sur le corpus bibliographique sur lequel s’est appuyé le travail de Rivette et replace l’évolution de l’image de Jeanne d’Arc à travers les siècles, de l’amazone à la Marianne en passant par la bergère et évoque la captation qu’en a voulu faire l’extrême droite française à la fin du XXe siècle.

jaquette jeanne la pucelle


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