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JE VOULAIS ME CACHER

Expulsé par l’institution suisse qui s’occupait de lui à la fin de la Première Guerre mondiale, Antonio se retrouve en Italie contre sa volonté. Sans attache, vivant dans un grand dénuement, il s’accroche à sa raison de vivre, la peinture, qu’il pratique en autodidacte. Peu à peu, du public à la critique, son “art” va bousculer l’académisme.

Critique du film

Il y a quelque chose de tragique à constater qu’à travers les siècles, génie et misère ont de tous temps été les deux faces de cette pièce étincelante qu’est la sensibilité d’un artiste. Les sages et les poètes y auront à de nombreuses reprises vu une forme de malédiction, destinée à inspirer de l’humilité à ces êtres d’exception, et qui aura souvent conduit les cinéastes à sublimer le genre du biopic. C’est ainsi que Miloš Forman, avec son Amadeus, livrait un portrait quasi symphonique du compositeur prodige – quitte à briser un mythe pour se rapprocher au plus près de la complexité de ce qu’un ordinaire parfois bien laid est la composition indissociable d’un bel extraordinaire.

C’est dans cette même optique que, pour son quatrième long-métrage, Giorgio Diritti s’est attelé à la dépeinte sur grand écran de la vie mouvementée d’un des plus grands maîtres de l’art naïf, Antonio Ligabue. De son propre aveu, c’est en se rendant dans la petite ville de Gualteriri, où l’artiste aura finalement élu résidence, que le réalisateur aura véritablement appris à connaître l’homme derrière le peintre. Familier de son œuvre depuis l’enfance, arpenter les ruelles et les environs qui auront vu évoluer Ligabue, dans ses moments de joies immenses comme d’extrêmes souffrances, l’auront alors pousser à vouloir raconter la vie de cet être si particulier dans un film hommage haut en couleurs, et qui aura illuminé la 66e cérémonie des David di Donatello – sacrant le cinéaste de meilleur réalisateur – ainsi que la Berlinale 2020 – récompensant son acteur principal Emilio Germano de l’Ours d’argent.

LA COULEUR DES SENTIMENTS

S’il porte un titre à première vue énigmatique, Je voulais me cacher s’explique autant par l’œuvre artistique qu’il fait redécouvrir que par l’homme qu’il montre sans détours – et ce dès les premiers plans.

Planté dans un cabinet médical froid, aux nuances de gris et sous la visée du regard implacable de son propriétaire, on découvre dès le début du film qu’avant d’être un intuitif de la peinture, Ligabue était avant tout un être profondément timide, rejeté de la société du fait d’une maladie de la croissance osseuse et d’une altération de son développement mental. Qualifié dès lors “d’attardé”, il sera durant une bonne partie de sa vie confronté aux regards méprisants, le renvoyant à une image de paria – que seule sa rencontre fortuite avec Renato Marino Mazzacurati, lui-même peintre et sculpteur, va quelque peu faire évoluer. Car malgré son talent, Ligabue ne se sentira aucunement légitime à se montrer comme artiste, trouvant son bonheur dans les choses simples sans jamais se mettre en avant – préférant rester en retrait, caché.

Malgré son prix, la mise en scène reste somme toute très classique, bien que travaillant remarquablement les contrastes des palettes de couleurs lorsque l’on passe des instants de reconnaissance de l’homme derrière l’artiste aux scènes de violence verbale ou physique à son encontre, ou encore lorsqu’il s’agit de mettre en lumière les différents tableaux – jouant des saturations pour en faire ressortir les nuances. Pour autant, le film réussit le pari de dépasser le créateur pour s’attacher pleinement à l’humain, grâce à la performance extraordinaire de son acteur principal, bluffant d’engagement dans un rôle aussi physique qu’émotionnel – et sans tomber dans la vulgarité d’une contrefaçon de symptômes grivois de l’altération psychique.

Entre l’hommage à la beauté de la peinture comme miroir sur la psyché interne d’un incompris, et la dénonciation de la laideur du monde dans son intolérance parfois violente, Je voulais me cacher est une très jolie composition en respect du peintre qui l’aura inspirée.

Bande-annonce

7 juillet 2021 – De Giorgio Diritti, avec Emilio Germano




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