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JE NE SAIS PAS SI C’EST TOUT LE MONDE

Pour son premier film, Vincent Delerm prolonge son travail ultrasensible sur l’intime, la mémoire et le rapport aux autres. Qu’est-ce qui nous construit ? Que ressentent les gens autour de nous ?  Nos émotions et sensations n’appartiennent-elles qu’à nous ?  Chaque personnage, célèbre ou anonyme, livre à Vincent Delerm quelque chose de lui, définissant sa sensibilité et sa manière de voir l’existence. Témoignages qui font sourire parfois, serrent le cœur souvent, conjuguent l’intime et l’universel.  En filigrane, les propres émotions de l’auteur se dessinent le long d’un film musical, photographique, dont la narration est comme un fil invisible.

Critique du film

On connaissait Delerm chanteur, dramaturge, photographe, le voilà réalisateur de cinéma avec, dixit Thierry Frémaux sur la scène de l’Institut Lumière, « un drôle d’objet » que ce Je ne sais pas si c’est tout le mondemoyen-métrage fait de rencontres, témoignages et confidences, à mi-chemin entre le documentaire et le patchwork. Et Thierry Frémaux de poursuivre « c’est un film de chanteur, qui possède la même singularité que peuvent avoir les films d’acteur ».

En effet c’est à une forme de déambulation mentale que nous convie le jeune réalisateur dont la voix ouvre le film avec ces mots : « Cette manière que nous avons de vivre à côté des autres sans être jamais bien sûr de comprendre ».

Les séquences, courtes, se bousculent comme deux airs de chansons se répondent. Il s’agit de saisir une émotion sans s’attarder, par le texte, l’image ou la musique. Les séquences écrites alternent avec d’autres où le vif est privilégié. Personnages et personnes se confondent sans que cela ne gêne vraiment, même si parfois cela introduit un flou dans l’intention.

À son meilleur, le film réussit à capter quelque chose d’indicible qui a à voir avec le temps qui passe et le frémissement du moment. Deux séquences marquent cette tonalité. La première chez le critique d’art François-Henri Debailleux qui a étalé sur une grande table 40 agendas où sont scrupuleusement consignées ses activité au jour le jour. Une hyper mémoire sans affect, sans vraiment d’importance non plus, modianesque en diable. Pour la seconde, Vincent Delerm a imaginé un dispositif très simple : il filme Alain Souchon en train d’écouter au casque les compliments qu’il n’a pas su lui dire lors de leur première rencontre. Dans un superbe noir et blanc, Souchon réagit avec l’humilité qu’on lui connaît, sourit, commente un peu. Au moment où sa sincère émotion envahit la salle, on est déjà passé à autre chose.

D’autres pastilles paraissent plus anecdotiques comme l’éphémère scène avec Alice Rohrwacher. Dans son ensemble le moyen métrage compose un autoportrait de l’artiste assez touchant et surtout fidèle à l’image du chanteur, élégant (photographie superbe, très composée) et sachant toucher juste sans avoir l’air. Les réfractaires s’abstiendront, les thuriféraires se précipiteront. Ces derniers auront la chance de voir le dernier plan tourné par Jean Rochefort, dans la nuit de Saint-Ouen. Moment suspendu et privilégié que Delerm a l’extrême politesse d’abréger avant complaisance.

Bande-annonce

23 octobre 2019 – De Vincent Delerm, avec Jean Rochefort, Vincent Dedienne




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