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INU-OH

lnu-oh, créature maudite, est né avec une particularité physique l’obligeant à cacher chaque parcelle de son corps. Sa vie de paria solitaire change lorsqu’il rencontre Tomona, un joueur de Biwa aveugle. Ensemble, ils créent un duo singulier qui fascine les foules et deviennent les premières célébrités du Japon. Pour découvrir la vérité sur la malédiction d’Inu-oh, ils devront continuer à danser et chanter, au risque de déranger l’ordre établi.

Critique du film

« Et si on réalisait un portrait anachronique de la naissance du rock six cent ans en arrière, au beau milieu du Japon de l’époque Muromachi ? » Le projet est sans doute né comme ça, par une question qui, dans sa structure même, appelle à un « oui » ou un « non », mais à laquelle on n’opposera jamais un « pourquoi ? ».

On sait depuis la brillante série The Tatami Galaxy que les fictions de Masaaki Yuasa arrivent trop vite, avec trop de force, de couleurs et de variations formelles, pour que le spectateur puisse réfuter leur raison d’être. Grand cinéaste de l’arbitraire, Yuasa réinvente d’œuvre en œuvre son prodigieux moteur cinématographique auto-alimenté : les choses se déroulent comme ça parce qu’elles se déroulent comme ça, et c’est au public de s’agripper à ce TGV déjà en marche, sous peine de s’écraser le nez sur le quai. Mais loin d’oublier à qui il s’adresse, le réalisateur offre une expérience privilégiée à tous ceux qui auront réussi à se hisser sur le bolide.

INU-OH

Le long-métrage prend racine dans une période aux enjeux politiques – division du Japon en deux cours distinctes – et culturels avérés, mais dont les contours restent suffisamment flous pour laisser une part de fantasme se développer. La naissance des codes du théâtre Nô se retrouve ainsi mêlée à l’importance historique des joueurs de biwa itinérants, par l’entremise de la rencontre d’un jeune musicien aveugle, Tomona, et d’un garçon difforme qui aime se donner en spectacle, Inu-Oh. Ils se découvrent un goût commun pour le spectacle et décident de former leur propre troupe itinérante, d’abord en marge, puis en franche opposition avec les codes traditionnels imposés par les classes supérieures et les ordres religieux. Le film se penche ainsi sur les capacités de l’art à déranger, bousculer, voire désarticuler les intrigues de pouvoir dans les hautes sphères de la société, et ce propos gagne à ne jamais être trop spécifique dans ce qu’il raconte, permettant de tracer des parallèles bien au-delà du lieu et de l’époque de l’intrigue.

Toutefois, les pistes de réflexions lancées par Inu-Oh ne prennent jamais le pas sur son sujet central, qui est celui de la représentation musicale. « Je veux devenir la seule célébrité de mon époque » déclame à un moment le danseur, qui joue de sa difformité pour captiver les foules : c’est en quelque sorte la profession de foi du long-métrage, qui fait de chaque passage chanté une performance totale et hypnotique. Faisant le lien entre les sensations auditives et corporelles, la mise en scène s’attache, pendant de longues minutes, à faire naître des rythmes entêtants qui rassemblent une foule toujours plus grande grâce au bouche à oreille.

INU-OH

Suivant la bande-son qui balaye un large spectre du rock tout au long du film, l’animation explore les arythmies et les oppositions, multipliant les angles rares (sur les visages libérés de la foule, sur les pas survoltés des danseurs) tout en replaçant constamment le corps du musicien au cœur de cette performance collective. Ça se contorsionne, ça vocifère, ça se jette à terre ou se redresse brusquement, le tout au milieu d’effets scéniques et pyrotechniques fantasmés, surprenants, et pourtant toujours à leur place. En somme, tout se passe comme si le dispositif entier de mise en scène était dédié à la lente naissance d’une transe musicale, pour la faire ressentir à ceux – dans la fiction, et en-dehors – qui n’en ont jamais fait l’expérience. Et ça décoiffe.

Le générique nous laisse lessivés mais heureux. Heureux de la la trajectoire de Tomona et Inu-Oh, qui ont réussi, dans une approche que ne renierait pas Satoshi Kon, à se métamorphoser par l’expression de leur art pour devenir eux-mêmes, et heureux de cette communion inattendue orchestrée par le film, de son caractère gratuit, arbitraire. Yuasa sert la table aussi promptement qu’il la débarrasse, laissant planer dans l’air deux sentiments assez rares. Celui, tout d’abord, d’avoir vu une proposition formelle qui ne pourra être complètement comprise en dehors de l’expérience de la salle de cinéma. Puis, dans un second temps, celui, plus amer, de l’affadissement soudain de toutes les autres productions animées vues ces derniers mois : saura-t-on seulement retrouver autant de personnalité dans un autre long-métrage d’animation japonais dans les années à venir ?

Bande-annonce

23 novembre 2022 – De Masaaki Yuasa




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