featured_histoire-judas

HISTOIRE DE JUDAS

Après un long jeûne, Jésus rejoint les membres de sa communauté, soutenu par son disciple et intendant, Judas. Son enseignement sidère les foules et attire l’attention des grands prêtres et de l’autorité romaine. Peu avant son arrestation, Jésus confie une ultime mission à Judas… 

Ruines et espérance

Rabah Ameur-Zaïmeche s’empare en 2015, pour son cinquième long-métrage, des derniers jours de l’histoire de Jésus. De ce cinéaste libre, il ne fallait pas s’attendre à une plate illustration de l’ancien testament. Histoire de Judas est tout à la fois un western, un drame et un film de procès. C’est surtout un film d’une splendeur visuelle étourdissante, romanesque et sensitif, apocryphe comme le vent.

« 40 jours de jeûne et tu es toujours aussi lourd » dit Judas le fourbu, ramenant sur son dos Jésus à Jérusalem. « Tu es aussi léger qu’un papillon » se rattrape t-il instantanément. Quelques plans de deux silhouettes au milieu d’un paysage caillouteux, baigné de soleil et balayé par les vents suffisent à planter le décor et affirmer une incarnation de l’Histoire. Les deux hommes se sourient, s’étreignent, heureux de se retrouver, complices.

Tourné en Algérie, à Biskra et dans les somptueux paysages montagneux des Aurès, le film relie de manière souterraine les terres colonisées à travers les temps. Pour autant le cinéma de RAZ n’est pas chargé de symbolisme. Il cherche au contraire à restituer une intensité en donnant à éprouver la matérialité de l’air que respirent ses personnages. Le vent dans les étoffes, le bruissement des arbres, le bourdonnement d’un insecte participent de cette tangibilité de l’instant. 

histoire de judas

Comme Jacques Rivette a filmé Jeanne d’Arc dans sa simplicité de femme investie d’une mission, Ameur-Zaïmeche s’intéresse à Jésus plus qu’au Christ. Liberté de ton, reconstitution dépouillée et démythification rapprochent les deux films. Une véritable filiation existe d’ailleurs entre les cinéastes. Irina Lubtchansky, directrice de la photographie de Histoire de Judas (son travail est exceptionnel, inspiré, pour certaines scènes de Rembrandt et du Caravage) a supervisé la restauration de Jeanne la pucelle, film sur lequel avait officié son père, le grand chef opérateur William Lubtchansky.

Par une attention aux corps, la caméra de RAZ cherche à capturer à la fois une sensualité et une douleur. Le corps nu de Jésus, flottant sur la rivière mais déjà « en croix », celui désarticulé de Carabas, les pieds des apôtres lavés par Jésus puis les cheveux de Jésus oints par Suzanne. Prendre soin des corps comme des âmes. C’est l’ultime pied-de-nez que fait Jésus à son bourreau. Arrêté pour trouble à l’ordre public « le rebelle galliléen » délivre Ponce Pilate d’une migraine avant que ce dernier ne délivre son jugement. 

« Ton empire n’est que ruines, c’est en mon nom que les nations porteront leur espérance ».

Superbe séquence d’un procès tenu dans un décor de péplum, conclue par cette sentence qui condamne l’humanité à l’affliction. Les larmes de Ponce Pilate s’ajoutent à celles d’un simple centurion, Ameur-Zaïmeche leur confère une conscience de malédiction.

Pendant ce temps-là, Judas, parti chasser un scribe espion et détruire les parchemins retranscrivant les prêches de Jésus, ne pouvait pas commettre le crime de haute trahison dont l’accuse les Évangiles. Innocenté par le film, il ne lui reste plus que les yeux pour pleurer. Un plan très large, d’une beauté fordienne, montre la silhouette agitée de Carabas, petit diable semblant danser aux pieds de potences. La profondeur de champ a partie liée avec la hauteur de vue. Ameur-Zaïmeche nous a fait grâce, par une heureuse ellipse, de la représentation de la crucifixion, ajoutant l’élégance à la lucidité.



#LBDM10ANS

 




%d blogueurs aiment cette page :