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HÄXAN

Après un bref aperçu de la fascination que la sorcellerie a, de tout temps, exercée sur les hommes, c’est sur le Moyen-Âge – grande époque des pratiques sataniques – que se concentre Benjamin Christensen. Aux séquences de Sabbat, de possessions, aux pactes avec Satan, font face la brutalité et la perversité des inquisiteurs.

Danse macabre

En 1922, l’ombre filiforme et inquiétante du Nosferatu de Murnau s’impose comme l’une des figures matricielles du cinéma d’horreur. La même année pourtant, une autre créature s’incarne à l’écran sous les traits d’une vieille femme trapue, qui à la nuit tombée, s’envole sur son balai : Häxan projette à l’écran l’imaginaire médiéval de la sorcière, loin du fantasme sensuel de la sorcière contemporaine. 

Häxan est une oeuvre qui ne ressemble à aucune autre. Divisé en sept chapitres, Benjamin Christensen transforme son film en un essai filmique, à la croisée des genres. Dans une première partie austère, le réalisateur sonde les représentations picturales du Mal à travers différentes gravures et peintures du Moyen-Âge. Si Benjamin Christensen, lui-même narrateur, adopte une approche pragmatique de son sujet, appuyant ses recherches sur le Malleus Maleficarum – traité du XVème siècle relatant les chasses aux sorcières en Europe -, il persiste pourtant un sentiment inquiétant. Les gravures se succèdent, laissant apparaître chimères, démons et corps décharnés, jusqu’à sa fresque finale des Enfers : la douleur envahit chaque coin de l’image, où les Hommes, prisonniers dans d’immenses chaudrons, finissent par être engloutis vivants par les démons. Les traits grotesques du dessin médiéval contribuent à l’atmosphère obscure du métrage. Puis sans prévenir, l’image prend vie dans un soigneux travail de reconstitution : du sabbat des sorcières aux interrogatoires sous l’inquisition, Häxan n’épargne aucun détail, fabriquant ainsi des images fantasmagoriques qui marquent durablement l’esprit. 

Burn the witch

Il y a dans Häxan quelque chose d’insaisissable, que la langue anglaise traduit volontiers par “eerie” et qui laisse entrevoir un monde sinistre, magique, et profondément irrationnel. Benjamin Christensen, dans une démarche scientifique, met en image ses propos : au-delà de la démonstration, Häxan se pose en héritier pictural, participant inconsciemment à l’élaboration d’une mythologie. Loin de contredire son propos, les images fantastiques du film contribuent à appuyer leur caractère imaginaire. Alors que le langage cinématographique n’est encore qu’à ses balbutiements, Häxan joue avec la matière filmique, et brouille les frontières entre réel et fantastique, documentaire et fiction. L’image, imprégnée par l’influence expressionniste, métamorphose le réel en un théâtre effrayant, soulignant les ténèbres par un jeu constant des contrastes. Christensen convoque un carnaval grotesque, peuplé de diablotins cornus et de sorcières, qui dansent dans les bois jusqu’au lever du jour, s’adonnant dans un Sabbat halluciné au sacrifice de nouveaux-nés. 

Interdit dans plusieurs pays pour “perversion sexuelle”, Häxan ose (gentiment) à l’écran la nudité et la torture, ainsi que la figure profane de la nonne possédée, quelques années avant le Code Hays. D’une étonnante modernité, le film expose un propos politique aux accents féministes, étudiant la figure de la sorcière à travers un regard plus contemporain. Au-delà du mythe qu’il fabrique, Christensen prend le parti des femmes opprimées par les procès de sorcellerie, condamnées à avouer l’inavouable sous la torture. 

À travers une riche documentation, et une rupture du quatrième mur prenant à parti les spectateur.ice.s, Christensen déconstruit la superstition et établit un parallèle avec son époque. Si le traitement de l’hystérie paraît désuet, le film évoque les maladies mentales, longtemps interprétées comme de la sorcellerie, rationalisant ainsi l’inexplicable. La figure de la sorcière, représentée comme une vieille femme pauvre, entremêle les questions de genre et de classe sociale, étayant l’idée que le pouvoir des femmes est perçue comme une véritable menace pour la société patriarcale. 

Häxan filme avec grande bienveillance ses actrices, mais plus généralement les femmes, relevant néanmoins la souffrance dont elles ont héritées : la clinique psychiatrique n’est pour Christensen que le prolongement des méthodes de tortures du Moyen-Âge. Un propos particulièrement audacieux à une époque où la psychologie, menée majoritairement par Freud et plus généralement sous une domination masculine, se développait à l’encontre des femmes. 

Il est indéniable que Häxan ait imprégné durablement le cinéma d’horreur, et notamment les représentations de la sorcière au cinéma. Cité comme l’une des références de The Witch de Robert Eggers, Häxan a sans doute influencé L’Exorciste de William Friedkin. L’approche pragmatique du genre, ainsi que les représentations de blasphème et de divinités occultes, notamment la brève apparition d’une gravure de Pazuzu, divinité occulte de L’Exorciste, laissent imaginer que Häxan ait marqué le chef-d’oeuvre de Friedkin. Près de cent ans se sont écoulés, et Häxan reste pourtant un film d’une incroyable modernité, tant cinématographique que politique.


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