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HABEMUS PAPAM

Après la mort du Pape, le Conclave se réunit afin d’élire son successeur. Plusieurs votes sont nécessaires avant que ne s’élève la fumée blanche. Enfin, un cardinal (Michel Piccoli) est élu ! Mais les fidèles massés sur la place Saint-Pierre attendent en vain l’apparition au balcon du nouveau souverain pontife. Ce dernier ne semble pas prêt à supporter le poids d’une telle responsabilité. Angoisse ? Dépression ? Peur de ne pas se sentir à la hauteur ? Le monde entier est bientôt en proie à l’inquiétude tandis qu’au Vatican, on cherche des solutions pour surmonter la crise… 

ESPRIT, ES-TU LÀ ?

Le 11 février 2013, le monde catholique apprenait avec stupeur la renonciation du pape Benoît XVI : une première depuis près de six siècles. Peu de mortels avait prédit cette décision du souverain pontife, si ce n’est peut-être Nanni Moretti qui, deux ans plus tôt, sortait Habemus Papam, son onzième long-métrage. Sous la caméra du cinéaste italien, Michel Piccoli interprète le cardinal Melville (salut Jean-Pierre) qui, à la surprise générale et d’abord la sienne, est élu à la plus haute fonction de l’Église catholique. Se pose dès lors pour Melville cette question existentielle au possible : comment devenir saint lorsque l’on est qu’homme ?

Si l’on retient souvent l’aspect burlesque, voire satirique de la filmographie de Moretti, Habemus Papam lui préfère un propos bien souvent dramatique, épris de mélancolie. Le film dévoile ici les arcanes d’un pouvoir autant religieux que politique, qui traverse non seulement une crise de représentativité vis-à-vis de ses fidèles tenus à l’écart de ses oripeaux, mais aussi une crise de l’engagement individuel de ses dirigeants, dont aucun ne souhaite en son for intérieur atteindre la position suprême. Les plans sur le balcon de la basilique Saint-Pierre désespérément vide devant une foule interloquée, le tout sur fond de musique de tragédie, résument à eux un désastre humain qui ne dit pas son nom. 

Une troisième crise peut ici être invoquée, à savoir une crise psychique. L’intervention du psychiatre, joué par un Nanni Moretti fidèle à sa persona, cristallise à elle seule les limites des hommes de foi qui ne peuvent expliquer leurs maux que par l’intervention d’une volonté qui les dépasse. Hors de question ici d’aborder les sujets de l’enfance, de la sexualité ou des rêves. Mais les doutes ne concernent pas seulement les religieux : le psychiatre lui-même, athée autoproclamé, peine à résoudre ses problèmes personnels, rappelant à qui veut l’entendre la raison pour le moins farfelue de son divorce avec son ex-femme obsédée. Le film évite ainsi avec finesse le piège de l’anti-cléricalisme primaire, qui n’aurait fait que desservir un propos qui se veut plus subtil.

Le ton parfois hiératique du long-métrage n’empêche pas la présence de scènes particulièrement réjouissantes, la plus fameuse étant le tournoi de volley-ball organisé entre les cardinaux sous les fenêtres de la chambre du souverain en pleine crise ontologique (ou presque). Dans la même veine ironique, les dialogues du psychanalyse avec les cardinaux ne s’éloignent jamais très loin d’une certaine forme de causticité : on y discute autant destinations de voyage qu’anti-dépresseurs, on y joue aux cartes comme au bar du coin, on y danse allègrement sur l’air de Todo Cambia. Cette joyeuse troupe semble un temps oublier la catastrophe qui se joue près d’elle et dont elle ne perçoit pourtant aucun écho, aucun indice. C’est en jouant de ce pas de deux tragi-comique que Moretti élève son film au plus haut des cieux.

SAINT PICCOLI

Au cœur de cet opéra à ville ouverte se trouve un pape dépassé par les fonctions qui lui sont confiées et dont le cheminement introspectif est le véritable sujet du film. Le dernier grand rôle au cinéma de Michel Piccoli a déjà été maintes fois vanté comme étant l’un de ses meilleurs. On ne peut en effet que s’incliner devant tant de maîtrise et de délicatesse dans l’interprétation, si bien que l’on peine à s’imaginer à quel autre acteur aurait-on pu confier le rôle. Piccoli vient en effet personnifier magistralement la glorieuse incertitude descendue parmi les hommes, celle qui les voit à la fois vaciller et se mettre en quête de repères. Parvenu au sommet de sa hiérarchie, Melville se confronte à la solitude qu’incombe sa position au-dessus d’un cortège de cardinaux, dont ressortent surtout le burlesque et la lâcheté.

Habemus Papam est le parcours tumultueux de cet être de chair et d’os qui veut se substituer à l’abstraction du rôle papal, qui suppose une représentation plus symbolique que réellement effective. De là, le retour aux sources s’impose. Le film devient alors une dérive poétique et mélancolique absolument passionnante où Melville/Piccoli regoûte à ses premiers amours, à savoir le théâtre. Au cours de son errance dans la capitale romaine, il côtoie en effet une troupe en pleine émulation qui s’apprête à jouer La mouette de Tchekhov. Dans cette pièce comme dans le film de Moretti, il est question d’un personnage à la recherche de sa liberté d’artiste malgré les qu’en dira-t-on et une existence en proie au déterminisme. 

Habemus papam
Il est d’autant plus émouvant de voir abordé ici le thème du théâtre que Michel Piccoli, en parallèle d’une carrière au cinéma déjà particulièrement riche, s’est au moins autant illustré sur les planches, surtout durant ses jeunes années. La mise en scène délicate de Moretti, si elle peut paraître trop lisse et démonstrative à certains passages, sert en tout cas extraordinairement le talent indiscutable de son acteur. Dans une avant-dernière scène bouleversante, il rend un hommage discret à l’immense figure artistique que fut Piccoli qui, s’il n’est plus sous les feux de la rampe, est et restera un observateur attentif de ses confrères et héritiers. 

Avec son synopsis grandiloquent, Moretti fait de son Habemus Papam une fable modeste, à mi-chemin entre la comédie burlesque et le drame politico-métaphysique, un film à la fois  hors-sol et profondément ancré dans son époque berlusconienne. Les interprétations, nombreuses et variées, invitent en tout cas à repenser un imaginaire autour du pouvoir politique et spirituel, à retrouver la sincérité de nos passions intimes autant que notre liberté d’émancipation. À l’instar des thèmes abordés dans son Journal Intime ou Palombella Rossa, Moretti poursuit son exploration de la disparation d’une certaine utopie collective qui s’accompagne dans Habemus Papam d’une quête vers un nouvel idéal, qui reste encore à concevoir.

 


#LBDM10AnsLBDM 10 ans




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