Great freedom

GREAT FREEDOM

L’histoire de Hans Hoffmann. Il est gay et l’homosexualité, dans l’Allemagne d’après-guerre, est illégale selon le paragraphe 175 du Code pénal. Mais il s’obstine à rechercher la liberté et l’amour même en prison…

Critique du film

Au départ, il y a un texte de loi et la criminalisation d’une orientation sexuelle, appelant à se répéter des peines de prison qui empêchent toute une population de penser son avenir. Deux faits attirent l’attention et demeurent vivaces dans l’esprit après la vision de Great Freedom, premier film de l’autrichien Sebastian Meise. Tout d’abord, cet article 175 inscrit dans le code pénal allemand, qu’on retrouve jusque sur les portes des prisons, caractéristique de l’incarcération outre-rhin qui signale à tous pourquoi on est détenu. Ensuite, cette phrase terrible prononcée par Hans Hoffman, déclarant qu’il est là pour « effectuer le solde de sa peine » commencée en camp de concentration sous le troisième Reich nazi.

L’auteur a choisi pour raconter son histoire une temporalité très particulière : par le jeu de scènes convoquant l’isolement dans un cachot sombre et lugubre, Hans voyage entre chacune de ses détentions, de 1945 à la libération des camps, jusqu’en 1969, date à laquelle l’Allemagne cesse de mettre les homosexuels derrière les barreaux, même si l’article 175 n’est pas techniquement abrogé. Ce choix narratif est assez brillant en ce qu’il permet d’apprendre à connaître les personnages, Hans et Viktor, analysant les détails de leurs vies en dehors de la société dans ses moindres détails. Si cela peut alourdir par instant les scènes, qui manquent de rythme et de fluidité à cause des répétitions occasionnées par le dispositif, cela ne constitue pas une réserve suffisante pour couper le film dans sa réussite formelle et thématique.

Great Freedom
En effet, c’est d’abord une réussite liée aux performances des deux acteurs principaux, Franz Rogowski et Georg Friedrich, qui habitent leurs personnages avec beaucoup d’investissement et de qualités. L’articulation de l’amitié entre Hans et Viktor est la colonne vertébrale qui soutient toute l’histoire et permet des ponts entre chaque scène. Il est difficile d’oublier ce moment où Viktor propose à Hans de recouvrir son tatouage synonyme de déportation, point de départ d’une relation qu’aucun des deux n’assume totalement.

Rogowski est devenu en l’espace de quelques films, que ce soit en France ou en Allemagne (on pense à Ondine et à Transit), un visage et un véhicule passionnant du cinéma européen. Les détails de son jeu, apportant subtilité et précision à chaque moment décrit, sont assez prodigieux. Le jeune garçon de 1945, chétif et traumatisé, semble bien éloigné de l’homme affirmé et déterminé de 1969 qui a appris à vivre la majeure partie de sa vie en prison.

Great freedom
Le dernier acte est un cruel constat du conditionnement d’un homme qui ne sait pas vivre autrement que par ces récurrents retours à l’enfermement. Le film raconte une histoire d’amitié et une somme d’habitudes qui sont autant de règles et de jalons qu’Hans n’arrive pas à dépasser. La vie à l’extérieur, très peu montrée si ce n’est en début et en fin de film, est comme une fiction à laquelle il ne peut se conformer. C’est là tout le drame et la responsabilité des gouvernances qui ont succédé à la Deuxième Guerre mondiale : à n’avoir pas su penser le monde dans sa globalité ils ont créé aux marges une population exclue de la reconstruction des nations européennes.

Sebastian Meise a bâti son film autour de ce paradoxe, la libération des peuples du joug nazi s’est opérée en occultant de nombreuses personnes, avec de nombreux impensés comme la question de l’abrogation d’articles de lois complètement obscurantistes et dangereux dans une optique d’émancipation. Cette étude sous le prisme allemand ne doit pas faire oublier que la France, au même moment, a continué à criminaliser l’homosexualité jusqu’en 1981. Le film de ces souffrances, lui, reste encore à faire.

Bande-annonce

9 février 2022 – De Sebastian Meise, avec Franz Rogowski, Georg Friedrich et Anton von Lucke.




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