golda maria

GOLDA MARIA

En 1994, Patrick Sobelman filme chez elle sa grand-mère Golda Maria Tondovska. Face à la caméra, ses souvenirs reviennent, de son enfance en Pologne à sa vie de femme en France, nous livrant le témoignage vivant d’une femme juive née en 1910, sa traversée du siècle et de ses horreurs. En 2020, Patrick et son fils Hugo ont fait de ce témoignage intime un film, universel et essentiel.

LE SILENCE N’EST PAS L’OUBLI

Une vie à n’en rien dire. Des souvenirs brûlants placés sous l’éteignoir. Avancer coûte que coûte. Et puis qui comprendrait ? Comme tant d’autres, Golda Maria Tondovska, une fois revenue de l’enfer, a gardé pour elle ses cauchemars, pensé que le vécu et l’indicible s’étaient rejoints en un lieu secret de la mémoire.

En 1994, à 84 ans, Maria accepte de répondre aux questions de son petit-fils. Patrick Sobelman, grand producteur du cinéma français (de Lucas Belvaux à Judith Davis et passant par Lucile Hadzihalilovic et Patricia Mazuy) vient de développer, pour la télévision, un documentaire sur le premier convoi de juifs de France, déportés le 27 mars 1942 de Drancy à Auschwitz – Premier convoi de Pierre Oscar Levy). Cette expérience le replonge dans l’histoire de sa famille et lui donne l’idée de filmer sa grand-mère. Trois jours et neuf heures de rushes plus tard, il est en possession d’un témoignage précieux qu’il réserve au cercle familial. En 2020, il fait appel à son fils Hugo (Soul Kids, 2021) pour travailler à un montage et une sortie. Le film nous parvient aujourd’hui et les deux heures passées avec Maria constituent un document inestimable où, sourd de chaque image, l’ardeur de vivre côtoie la nécessité de transmettre.

Golda Maria

Dérouler le film d’une vie. L’expression pousserait presque à la paresse. Tirer le fil, faire sa pelote, agrémenter d’anecdotes. Maria, grand-mère coquette mais sans manières, répond aux questions de Patrick. La voix est sûre, teintée d’un léger accent yiddish. Le ton est sincèrement modeste, presque léger pour conter les premières années, déjà emportées dans un souffle mauvais de l’Histoire qui la fera fuir les pogroms de Dantzig puis Berlin. 1932, Paris accueille l’exposition coloniale. Maria, sans visa, réussit à s’échapper de justesse d’un rendez-vous traquenard. Un homme voulait lui faire payer le document en nature. Alors que ses parents, ainsi que plusieurs de ses frères partent s’installer en Palestine, Maria rencontre Pierre, est adoptée par sa future belle-famille. Simone née en 1936, suivie par Robert quatre ans plus tard. Les mains s’agitent parfois, le regard se perd un peu dans le vide. Quelque chose de puissant traverse Maria à mesure que les souvenirs remontent, nets, tranchants.

1941, le recensement des juifs. Pierre part à Marseille. Puis c’est l’exode. Premier bilan : « j’ai vécu des choses bien et des choses tristes. Les allemands nous lançaient du chocolat empoisonné ». Une larme la surprend et suspend quelques instants son récit. Patrick Sobelman coupe la caméra. Il est des émotions qui semblent émerger d’un dédale au sein duquel elles caracolent en silence depuis toujours.

« Que mes petits-enfants ne voient jamais ça »

Pierre et Simone tentent de passer en Suisse. Maria reste, elle veut être là pour voir la fin de la guerre, vivre la libération. Derrière la bonhomie de l’octogénaire, c’est une femme au caractère trempé qui se dessine. Elle est arrêtée le 1er mai 1944, déportée le 31, dans l’avant-dernier convoi. « Ces salopards ont fait très vite ». La voix se tend, une certaine fatigue affleure mais Maria tient et poursuit. Son convoi arrive à Birkenau le 6 juin 1944, jour du débarquement de Normandie. À Auschwitz, elle entend une femme lui conseiller de confier son enfant aux personnes âgés. Elle le donne à sa belle-mère. « Il a hurlé, j’ai jamais oublié ». Elle ne les a jamais revus. Elle se porte volontaire pour vider les latrines dans l’espoir d’avoir un peu d’eau.

Maria vacille et demande à Patrick d’arrêter, elle n’en peut plus. Après Auschwitz, Bergen-Belsen : « On était des bêtes humaines, on dépouillait les cadavres. » Et enfin Theresienstadt, en quarantaine avant le voyage retour qui dura trois semaines. « C’est quelque chose de très beau ». On la reconnaît à l’hôtel Lutetia, Pierre est averti.

Golda Maria

« On n’en a jamais parlé. »
Le silence n’est pas l’oubli.

Gérard naît en 1945. Maria n’est pas restée enfermée dans son passé, elle a vécu, a été heureuse, entourée de ses enfants et petits-enfants. C’est pour eux qu’elle parle. « Qu’ils ne voient jamais ça ».

Maria pensait que ce qu’elle avait vu était inaudible. Syndrome d’incommunicabilité partagé par la plupart des survivants de la Shoah. Puis elle a entendu que certains en affirmait la négation. Alors elle a parlé. Sa parole est un vaccin dont les rappels ne feront jamais assez de bien à notre mémoire collective. Elle nous rend moins vulnérables. Son histoire, leur histoire, notre histoire.

Bande-annonce

9 février 2022 – De Patrick Sobelman




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