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GEMINI MAN

La fiche

Réalisé par Ang Lee – Will Smith, Mary Elizabeth Winstead, Clive Owen – Science-fiction, action – Etats-Unis – 2 octobre 2019 – 1h57

Henry Brogan, un tueur professionnel, est soudainement pris pour cible et poursuivi par un mystérieux et jeune agent qui peut prédire chacun de ses mouvements.

La critique du film

Gemini Man raconte l’histoire d’Henry Brogen (Will Smith), un soldat-assassin d’élite vieillissant, qui va devoir faire face à son propre clone (rajeuni de vingt-cinq ans), chargé de l’assassiner. Cet affrontement n’a pas été filmé de n’importe quelle manière : 120 photogrammes par seconde, 3D, 4K, le nouveau film du réalisateur taïwanais Ang Lee (Billy Lynn, L’odyssée de Pi, Brokeback Mountain) semble avoir le potentiel et l’ambition de révolutionner technologiquement son art. Pari réussi ?

Une sidérante mimesis

Dès les premières minutes, l’expérience visuelle proposée par le film offre aux yeux un saisissant effet de réalité. Tout devient presque aussi clair, fluide et immersif que la vision humaine, tout en restant dans le cloisonnement écranique de la représentation cinématographique. Une expérience visuelle inédite, qui éveille deux émotions différentes, dont l’alliance s’avère tout à fait passionnante. 

Il y a d’abord la sublimation de la représentation elle-même, la technologie du « high-frame rate » conférant une telle netteté à l’image qu’elle nous permet de nous intéresser au moindre détail. La relative « simplicité » de la mise en scène et du découpage permet ainsi d’expliciter la réinvention visuelle et sensorielle des figures de styles les plus basiques, des simples effets de focale aux ambitieux travellings des scènes d’action.

Gemini Man en vient même à nous sidérer par la simple mise en mouvement des formes et des corps au sein du cadre, leur conférant une hyper-lisibilité à ce jour inédite au cinéma. Il devient d’ailleurs presque émouvant d’être ébahi devant une simple image en mouvement, tels les oiseaux de Platon devant un trompe l’œil peint sur un mur. S’établit alors une touchante filiation cinéphilique entre nous et les spectateurs du cinéma des premiers temps, effrayés par la simple arrivé d’un train en gare (la présence d’un plan montrant un train à grande vitesse n’est peut-être pas une coïncidence…).

À cet ébahissement devant la sublimation technologique des plus simples effets de mise en scène, se conjugue une impression d’étrangeté, elle aussi liée à la représentation. En effet, notre œil reste guidé par le film, qui nous montre où regarder, comme si nos yeux changeaient de maître. Ce qui est incroyable, c’est que la sensation de réalité provoquée par le film nous rend physiquement explicite la manipulation inhérente à la mise en scène elle-même. Ainsi, Gemini Man rend le cinéma quasiment palpable.

Le fond à l’image de la forme ?

Ce qui lie le fond et la forme, c’est encore une fois la mimesis (la représentation du réel). Dans l’échange avec le public qui a suivi la projection de son film, Ang Lee insistait sur les enjeux philosophiques du récit, qui invoquent finalement plusieurs fantômes de son cinéma : la relation entre un père et son fils, la conscience de soi comme accomplissement de l’être, la tension entre l’inné et l’acquis, etc.

Gemini man
Dans Gemini Man, un homme, incarnation du « réel », est confronté à un clone de lui-même, qui est la représentation de sa « réalité ». Or, l’hyper-réalité des 120 fps tend plus à confondre les deux plutôt qu’à les distinguer. La frontière est poreuse entre Henry et Junior : d’un côté, il y a un soldat victime d’un vécu devenu inné, et de l’autre, son clone, victime d’un inné intégré sans aucun vécu. Junior n’est-il qu’un être sans âme ? N’est-il pas possible pour lui d’accéder à ce que l’humanité a de plus cher, à savoir la possibilité de dépasser les représentations (sociales, culturelles, idéologiques) par la conscience que notre existence précède ce qu’on nous présente comme une essence ?

Devenir-machine

La question de l’irréversibilité désenchantée du devenir-machine constitue le cœur dramatique du film. Henry Brogen en est l’incarnation la plus mélancolique, victime consciente de représentations désormais inscrites dans sa chair et son esprit. Junior lui apparaît donc comme une potentielle utopie de réinvention et d’auto-détermination de l’être, mais aussi comme le symbole de son propre formatage passé.

Il semble que le film traite mieux son sujet avec la forme qu’avec le fond. Le conflit interne des personnages ne connaît meilleure incarnation que dans la question philosophico-esthétique (la réalité face à sa représentation hyper-réaliste) posée par le film. Le scénario, écrit à douze mains, ne pose que de simples intuitions, qui ne sont jamais concrétisées en idées. Encore une fois, les idées, c’est Ang Lee qui les donne, dépassant comme il peut un scénario convenu, voire programmatique. Sans doute n’a-t-il pas eu une grand marge de manœuvre face au producteur Jerry Bruckheimer.

Même s’il est plombé par son scénario trop formaté, voire archétypal, Gemini Man reste un film passionnant à regarder, à analyser et à vivre, marquant sans doute un tournant dans l’histoire technologique du cinéma.



Bande-annonce

Au cinéma le 2 octobre 2019




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