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FOUDRE

Pendant l’été 1900, sa protagoniste, Elisabeth a dix-sept ans et s’apprête à faire ses vœux après cinq ans passés au couvent, quand le décès brutal et inattendu de sa sœur aînée l’oblige à rentrer auprès de sa famille. Élisabeth va alors être confrontée à nouveau à la vie de labeur qu’elle avait laissée derrière elle, mais cette fois-ci elle n’est plus un enfant et les mystères qui entourent la mort de sa sœur la poussent à réfléchir à sa vie, à revendiquer son droit aux passions qu’elle croyait avoir laissées derrière elle. Là-haut sur la montagne elle va essayer de retrouver la joie et l’innocence de l’enfance au côté de trois garçons devenus entretemps des hommes.

Critique du film

Si Foudre est le premier long-métrage de la jeune réalisatrice suisse Carmen Jaquier, c’est une artiste à l’oeuvre depuis de nombreuses années que ce film nous permet de découvrir. Ce projet reçut le prix Suissimage en 2018, conjointement avec Ursula Meier (L’enfant d’En-haut), empreint dès l’origine d’une grande ambition en terme de représentation de l’éveil des jeunes filles et leur passage à l’âge adulte. Pour porter son regard et ses thématiques, la réalisatrice choisit l’actrice Lilith Grasmung qui joue Elizabeth, jeune femme sortant du couvent pour rentrer travailler dans la ferme familiale. Son existence entre parenthèses, dans cet univers carcéral dévoué à la seule présence divine, laisse place à une redécouverte du monde extérieur. Mais c’est également un deuil, celui d’une sœur aînée mystérieusement décédée. Ces deux points sont intimement mêlés et constituent la sève d’une histoire où brillent l’éveil des sens et les couleurs sublimes de la photographie.

Le regard oppressant sur Elizabeth est lui aussi double : il est à la fois le fait des hommes de la communauté, immédiatement en alerte dès l’arrivée de la jeune femme, mais aussi de la rigueur religieuse encore particulièrement forte au début du XXème siècle dans ces campagnes reculées. Si la sexualité n’existe pas dans le cadre officiel de l’Église, elle semble également niée dans la sphère publique et séculière, réservant la sensualité à la sphère du mariage et du devoir procréatif. L’enquête qui mène Elizabeth à sa la mort de sa sœur Innocente est aussi le chemin qui la conduit à la découverte de son corps et de ses désirs. Les petits cailloux semés par l’aînée, ses écrits secrets, ses amours nombreux, sont autant de révélations, voire d’épiphanies. Pourquoi vivre si c’est être entravée ?

Dans sa démarche, Carmen Jaquier montre les corps de ses acteurs et actrice, dévoilant simplement et sans aucune volonté de choquer, ce que sont ces premiers instants évanescents. La tendresse qui est montrée est en opposition frontale avec la brutalité de la famille et du clergé, qui considèrent comme une maladie d’aimer sous toutes ses formes, un cancer qui pourrait se propager à l’ensemble des sœurs d’Elizabeth s’il n’était pas rapidement endigué. Là encore, comme souvent au XIXe siècle et dans l’Ancien régime, le contrôle des femmes passe par l’enfermement, ici un retour au couvent. Pour les hommes fréquentés par Elizabeth, c’est le mariage, donc le rétablissement d’un ordre social accepté et acceptable tant par les traditions que l’Eglise.

Foudre vagabonde à travers les champs et collines de ce village suisse, accentuant les nuances de couleurs, soulignant les rouges et les jaunes avec un travail particulièrement soutenu de la photographie. Les scènes d’amour sont baignées de lumière, adoubées par le divin, magnifiées par la caméra qui ne les juge pas, les montrant dans leur innocence et leur candeur qui convient à une jeunesse qui s’exprime dans toute sa beauté. Comme un symbole, ce sont les jeunes sœurs d’Elizabeth qui lui permettent de s’échapper, dans une expression de sororité enthousiasmante qui rompt les entraves imposées par un père muet d’émotion et d’affection, et une mère effrayée par l’idée que ses filles puissent être libres.

La beauté du texte et l’aspect presque lyrique des images fusionnent dans une poésie impressionnante qui fait tout le charme de Foudre, au-delà même de son regard politique et militant. Un si beau premier film mérite de trouver la plus belle des expositions et de se frayer son chemin jusque dans nos salles pour y rencontrer son public.


De Carmen Jaquier, avec Lilith Grasmung, Noah Watzlawick et Benjamin Python.

Sortie le 10 avril 2024


Festival de La Roche-sur-Yon




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