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FATIMA

Fatima vit seule avec ses deux filles : Souad, 15 ans, adolescente en révolte, et Nesrine, 18 ans, qui commence des études de médecine. Fatima maîtrise mal le français et le vit comme une frustration dans ses rapports quotidiens avec ses filles. Toutes deux sont sa fierté, son moteur, son inquiétude aussi. Afin de leur offrir le meilleur avenir possible, Fatima travaille comme femme de ménage avec des horaires décalés. Un jour, elle chute dans un escalier. En arrêt de travail, Fatima se met à écrire en arabe ce qu’il ne lui a pas été possible de dire jusque-là en français à ses filles. 

Critique du film

« L’arbre qui tombe fait toujours plus de bruit que la forêt qui pousse ». Ce proverbe congolais est malheureusement d’actualité. Rien n’est moins juste que cette phrase pour qualifier l’état d’esprit général dans lequel souhaite nous conforter les médias français depuis plusieurs mois. Ces derniers, pour une grande majorité, accompagnant des politiques, s’évertuent à entretenir le repli sur soi ambiant, à faire des généralités de cas à part. Avec Fatima, Philippe Faucon leur répond, usant de son trait souvent qualifié de pudique, mais toujours net, en réussissant à parler de façon humaniste de ces gens qu’on ne voit pas.

Avec son précédent film Kamikaze, renommé par la suite La Désintégration (2012), le réalisateur de huit long-métrages pour le cinéma et trois pour la télévision suivait des jeunes en proie au fondamentalisme d’un prédicateur qui les emmènent, eux, se sentant exclus de la société française, vers l’acte terroriste. Philippe Faucon, débarrassé de tout sensationnalisme et misérabilisme, livrait un film intelligent sur l’art de la manipulation et les raisons du radicalisme religieux. Parfois qualifié d’anecdotique, le film a du revenir en tête de certains au lendemain des attentats du 7 janvier 2015.

Fatima pourrait être considéré comme le versant opposé de son précédent film, sombre et sec, tant son dernier fait preuve de douceur et d’énergie positive. Dans une forme qui relève de l’épure loin d’un naturalisme contemplatif (le film dure 1h19 montre en main), Faucon vise l’essentiel avec cette histoire simple de mère de famille confrontée à la barrière de la langue au quotidien, dans ses relations avec ses filles et à la société. C’est après une chute, signe de révolte de son corps et en arrêt de travail, que, soutenue par son médecin, elle va livrer à ses filles, dans sa langue maternelle et à l’écrit, ce qu’elle a sur le cœur. Pas de superflu, chaque séquence prend sens, et distille par petites touches les difficultés quotidiennes des personnes handicapées par la langue du pays dans lequel ils vivent. Dans le rôle de Fatima, la non-expérimentée Soria Zeroual impressionne par sa présence et sa subtilité.

La pudeur des mots

Le film réussit à éviter tous les lieux communs que l’on pouvait attendre avec un tel sujet. Philippe Faucon ne propose pas un film à thèse et c’est bien là son intelligence. Il regarde réellement les personnages qu’il filme, ceux-là même qui font vivre son histoire. Il les débarrasse des clichés réducteurs qui habillent généralement les musulmans, et plus particulièrement les femmes portant le voile, cibles de nombreux raccourcis. Il part de l’histoire vraie de cette femme qui gagne sa vie en faisant des ménages pour analyser les barrières et différences entre les générations. Le postulat de base peut sembler cliché, mais il n’en est rien puisque ces femmes ont la parole, et l’usage qui en est fait devient rapidement une des clés du film.

L’éducation par l’école devient, elle, un enjeu important. Fatima prend des cours du soir pour apprendre le français, et fait tout pour aider son ainée en médecine, et épauler la cadette en échec scolaire. Elle le fait car elle considère l’école comme unique voie de sortie de l’entravement social qui la confine au quotidien. Le seul bémol à apporter au film de Faucon provient des dialogues parfois trop didactiques, obligés de contrebalancer des séquences raccourcies à leur plus simple usage narratif.

À travers sa réalisation précise et très bien mise en place, le réalisateur a le bon goût de s’éclipser derrière ses personnages finement écrits, toujours intelligents. Il n’y a qu’à voir la tendresse avec laquelle il filme Fatima, qui passe son temps à s’effacer devant les gens, mais devient celle autour de qui opère la caméra dès lors que survient son accident. La voir rentrer à nouveau dans le cadre lors du plan de fin dénué de toute action est absolument bouleversant. Il trouve la distance parfaite pour raconter son histoire, évitant ainsi un quelconque sentimentalisme larmoyant. Parfois rude, il ne se prive pas d’attaquer une bourgeoisie souvent bête, ou de montrer les médisances des femmes du quartier – ces signes quotidiens de la violence ordinaire qui blessent son héroïne. Il évite ainsi de verser dans l’optimisme primaire.

Tant de qualités qui permettent de dresser un magnifique portrait de femmes une fois de plus, creusant son sillon admirablement loin du fatalisme et de la bien-pensance. Fatima nous rend proches de cette forêt de femmes de l’ombre qu’il pousse vers la lumière, et consacre P. Faucon comme un cinéaste essentiel dans le paysage cinématographique français.


Disponible en vidéo, sur MyCanal et en VOD sur UniversCiné


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8 années il y a

Pas faux, mais aussi:
Jolies rapports entre mére (et père) et deux sœurs très différentes. On ne peux nier la sincérité du film, voire son efficacité, hélas réduit a celui d’une petite production fr. Plus de cinéma serait bienvenu.

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