eyes wide shut

EYES WIDE SHUT

William Harford, médecin, mène une paisible existence familiale. Jusqu’au jour où sa femme, Alice, lui avoue avoir eut le désir de le tromper quelques mois auparavant…

Critique du film

Difficile d’écrire sur Eyes Wide Shut tant sa réputation le précède : dernier film de Stanley Kubrick mais aussi du couple Kidman-Cruise, ce long métrage titanesque de 2h40 a laissé une empreinte indélébile dans le paysage cinématographique. Thriller souvent qualifié de film « freudien », c’est une œuvre dense et sombre qui s’attache à explorer l’inconscient de ses héros, leurs fantasmes mais aussi leurs cauchemars. Encadré par les songes que les personnages se racontent les uns aux autres, Eyes Wide Shut possède une inimitable atmosphère onirique et semble flotter quelque part entre la réalité et le rêve ; difficile de dire si Bill, le héros, imagine tout ce qui lui arrive ou si ces événements surréalistes se produisent réellement. Profondément dérangeant, il possède l’inquiétante étrangeté des mauvais rêves qui déforment imperceptiblement la réalité et la rendent menaçante. Nous dérivons, entraînés par la suite entêtante de Dmitri Chostakovitch, qui sous-tend le film comme Beethoven hantait Orange Mécanique quelques années auparavant.

Et pour cause : dans Eyes Wide Shut, c’est tout l’univers grand bourgeois du couple central qui s’inverse et montre ses coutures déplaisantes. Le jour sage et rassurant devient la nuit tentatrice, la compagne de toujours une étrangère et les amis les plus familiers, les membres d’une étrange secte lubrique et meurtrière. L’atmosphère chaleureuse et familiale des fêtes de Noël, dans lesquelles baignent le film, coexiste avec le vice, et chaque personnage semble ici avoir deux identités opposées, à l’image d’Alice, l’épouse de Bill. Au début assise sur les toilettes, visage de l’intimité sans surprise du couple marié depuis longtemps, elle reproche à son mari de ne pas vraiment la regarder ; elle se révèlera finalement plus complexe que ce dernier ne le soupçonnait en lui avouant son envie de le tromper, manifestant ainsi l’étendue d’une vie intérieure dont il avait oublié l’existence.

Eyes wide shut

Le dernier Kubrick peut ainsi se lire comme la projection mentale d’un homme confronté au désir de sa femme, qu’il redécouvre, qui lui échappe et qui contamine le monde qui l’entoure, menaçant de faire voler en éclat le parfait ordre familial qui régissait jusque là sa vie. Alors que le film s’ouvre sur le corps nu de Kidman, de dos, insaisissable, la volonté masculine de se réemparer pleinement d’une sexualité devenue aliénante voire castratrice traverse le film. Bill n’arrive pas à passer à l’acte : bien que de nombreuses femmes plus ou moins nues se jettent dans ses bras, il ne parvient jamais à sauter le pas, empêtré dans une morale dont il ne sait plus que faire. Lutte entre l’appel du vice et la sexualité sage du mariage, Eyes Wide Shut est ainsi bien plus qu’une enquête policière : c’est une fable morale sur le trouble d’un homme, qui hésite à rejoindre sa femme Alice au Pays des Merveilles, et à céder à ses pulsions adultères. Placé avec Bill dans le rôle impuissant du voyeur toujours passif, le spectateur regarde avec lui la vie sexuelle des autres, peinant à en devenir acteur de la sienne.

Il faudra attendre le dernier moment et la dernière réplique de Nicole Kidman (“Je pense qu’il y a quelque chose de très important que nous devrions faire le plus vite possible. Baiser.”) pour que Bill reprenne enfin le contrôle sur son désir et que tout rentre dans l’ordre. “Nous devrions être reconnaissants d’avoir survécu à toutes nos aventures, qu’elles aient été réelles ou seulement rêvées” résume Alice. Le fantasme se referme et les personnages se réveillent, choisissant de revenir vers les rivages rassurants de leur vie matrimoniale. Ode à une sexualité conjugale ? Critique du couple bourgeois ? Portrait d’un couple dans la tourmente de l’infidélité ? Kubrick semble nous rappeler que nous ne connaissons jamais vraiment les gens avec qui nous vivons et referme son chapitre cinématographique avec ce dernier mystère : le mariage.


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