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EXCALIBUR

Uter Pendragon reçoit de Merlin l’Enchanteur l’épée mythique Excalibur. A la mort d’Uter, l’épée reste figée dans une stèle de granit. Seul le jeune Arthur, fils illégitime d’Uter parvient à brandir l’épée Excalibur et devient par ce geste le roi d’Angleterre. Quelques années plus tard, il épouse Guenièvre et réunit les Chevaliers de la Table Ronde. Mais sa demi-soeur, la méchante Morgane, parvient à avoir un fils d’Arthur qui va le pousser à sa perte…

Bricolage mystique.

Excalibur sent bon les années 80. Dont il ouvre avec brio la décennie. Un soleil couchant en toiles peintes, un Graal qui évoque davantage un vaisseau interstellaire qu’une coupe magique, une série de surimpressions et de disparitions à l’écran… et pourtant rien de tout cela ne gêne. Au contraire. Ces effets spéciaux, qui pourraient à première vue paraître archaïques et pauvres face à la puissance photo-réaliste du numérique actuel, font toute la richesse du film. On pourrait appeler cette fantaisie du « bricolage mystique ». Ainsi, le simple fait de raccorder par un montage parallèle les scènes du viol d’Igraine par Uther Pendragon et la mort du duc de Cornouailles – technique en apparence si simple, mais si brillamment exécutée, si nerveuse et si noire – approche une magie fondamentale, primitive. Comme le « Dragon », invisible et chtonien, dont Merlin s’inspire, John Boorman puise dans les tréfonds de l’art cinématographique pour bricoler un univers de fantaisie.

Cette hyper-stylisation distingue Excalibur de bon nombre de productions médiévalistes, courantes dans les années 1980-1990, qui versent souvent dans la quête du spectaculaire. Le chef-d’œuvre de Boorman échappe de ce fait à la catégorisation : il se trouve quelque part entre l’épopée et le romanesque. Comparons avec deux films qui lui sont postérieurs.

Prenons d’abord Braveheart (1995). C’est une histoire des plus épiques, car la question que pose Mel Gibson est celle de la souveraineté populaire. Le récit grandiloquent des guerriers écossais de William Wallace sert in fine d’allégorie à la lutte des peuples pour le droit à l’auto-détermination : Wallace n’existe qu’en tant que porte-parole du peuple écossais. Or, de quel peuple parle-t-on dans Excalibur ? Des chevaliers de la Table Ronde, que la vaine quête du Graal divise plus qu’elle ne réunit ? Des paysans errant au travers des landes désolées par Mordred et Morgane ? L’individualisme des caractères arthuriens brise l’unicité organique du peuple de Mel Gibson.

Regardons maintenant Robin des bois, prince des voleurs (1991). La version avec Kevin Costner consiste exclusivement en une aventure romanesque, qui a pour sujet une action singulière : la délivrance de la dame de Nottingham, et au passage de la ville. L’histoire de Robin ne recoupe que partiellement celle du peuple. John Boorman ne va pas aussi loin dans l’individualisme. Certes, les héros d’Excalibur ont chacun une histoire propre : Arthur et Excalibur, Lancelot et Guenièvre, Perceval et le Graal… Mais derrière eux se tient un peuple allégorique, le peuple de Bretagne, qui souffre ou jouit selon l’humeur d’Excalibur. Tout acte individuel a pour horizon le salut du monde.

Cette imbrication viscérale entre individus et peuple – sans que l’une des parties n’écrase l’autre – porte un nom : «  le Dragon », lien substantiel qui, selon Merlin, unit chaque chose de ce monde, soude chevaliers et paysans dans un destin commun. Excalibur se situe entre la liberté promise par l’épopée et l’aventure par le roman, engagée dans une redoutable quête : l’innocence de l’homme. C’est en cela qu’on peut qualifier le film mystique : par-delà les oppositions politiques, religieuses et sociales, il s’attaque à un grand trouble de l’âme humaine.

Et c’est ce qui le rend si onirique et si étrange à la fois. Uther chevauchant le Souffle du Dragon pour aller violer Igraine et concevoir Arthur, l’enfant Mordred, coiffé d’un casque en forme de masque, riant d’un Perceval désemparé au milieu des bois lugubres, le Charme Suprême terrassant Morgane… Autant de bizarreries formelles qui constituent parmi les meilleures scènes du film. Loin de batailles ou tours de magie spectaculaires, le film pénètre les mystères de l’âme humaine avec une telle sobriété de moyens – et pourtant si artistiquement travaillés – que ces personnages mythiques nous deviennent familiers. Désormais, la salle et l’écran font partie du Dragon.

Pour se faire une idée du film, rien de mieux que la scène où Perceval découvre le Graal : dans un décor de science-fiction, s’avance en surimpression un vase à la voix de stentor. Nous sommes en plein délire fictionnel, et pourtant on sent comme un grand espoir pour l’homme. Et peut-être, buvant en ce calice saint, nous retrouverons, comme Arthur, ses hommes et le royaume, innocence et vaillance.




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