Enorme

ENORME

Ça lui prend d’un coup à 40 ans : Frédéric veut un bébé, Claire elle n’en a jamais voulu et ils étaient bien d’accord là-dessus. Il commet l’impardonnable et lui fait un enfant dans le dos. Claire se transforme en baleine et Frédéric devient gnangnan.

Critique du film

« Faire un enfant dans le dos », cette expression surannée et vaguement machiste pourrait être un résumé facile du nouveau film de Sophie Letourneur, Énorme. Il en est en tout cas le leitmotiv inséré dans chaque plan du film. Ce qui le rend intéressant, loin des dizaines de films sur le sujet de la grossesse, est la volonté de la réalisatrice de renverser les figures imposées du genre. Dans le couple que forment Frédéric et Claire, les archétypes de genre sont à l’opposée des normes sociétales : il est au service de sa femme, lui servant d’impresario, bonne à tout faire, et accessoirement de mari. Elle est la star, pianiste concertiste de renom, et consacre chaque instant de sa vie à sa carrière. Frédéric porte toute la charge mentale du couple, organisant son emploi du temps jusqu’au contrôle de la prise de pilule contraceptive de Claire.

Une fois ce contexte particulier dressé, on peut revenir à l’expression citée en préambule, « faire un enfant dans le dos ». Comment un homme peut-il imposer une grossesse à sa femme ? C’est bien parce que dans cet exemple toutes les charges sont supportées par le mari que le postulat du film peut fonctionner et être crédible. La situation décrite sonne à première vue comme un manifeste féministe : Claire est libérée de toute injonction patriarcale et peut ainsi ne penser qu’à son bonheur et à son art. Même le sexe est ici à son « avantage », Frédéric lui prodiguant ce qu’elle désire pour qu’elle ne soit pas stressée avant un concert ou en préparation d’un nouveau projet. Ceci étant dit on se rend vite compte que ce n’est pas si simple : Claire est un être à qui on ne demande pas son avis, son époux gère tellement sa vie qu’elle ressemble plus à une marionnette dépourvue de parole qu’à une femme épanouie qui aurait réussi à s’affranchir de nombreux carcans sociétaux.

Enorme
La grossesse n’est dès lors qu’une nouvelle illustration de ce paradoxe. Elle s’est fait convaincre de s’investir dans un nouveau projet artistique, là encore non réellement consenti, et Frédéric la déleste de toute initiative ou voix dans le processus. On reconnaît bien la marque de l’auteur des Coquillettes, excellant dans les scènes absurdes, notamment quand le couple se rend à l’hôpital et où tout le personnel le connait lui, le bébé, mais pas Claire pourtant la principale intéressée. Marina Foïs joue à la perfection cette femme déboussolée qui suit les cailloux blancs semés par son mari sans comprendre véritablement quel est son rôle dans cette histoire. Au milieu de toutes ces pistes et de toutes ces scènes plus guignolesques les unes que les autres, on voit Claire prendre conscience d’elle-même. Elle délaisse le rôle de spectatrice de l’histoire pour en reprendre le contrôle et s’affirmer en tant que sujet agissant.

Sophie Letourneur réussit particulièrement son final en n’opérant pas un retour au statu-quo comme on a pu l’habitude de le voir notamment dans le cinéma étasunien. Son but n’est pas de faire de Claire une femme au foyer, ou de rentrer dans le rang par le biais d’une morale très normative. Claire est musicienne, son art est son moteur. Elle assume enfin sa maternité, mais elle n’abandonne pas pour autant sa liberté d’adulte, de femme, et prolonge les aspects positifs de son couple où toute la pression ne repose pas que sur ses épaules. Par l’absurde des situations inhérentes à cette période de la vie, la réalisatrice pointe du doigts la subtilité et la difficulté d’être mère mais aussi d’être ambitieuse dans tous les aspects de la vie. En inversant le désir d’enfant, Frédéric étant père avant que Claire soit mère, on prend d’autant plus conscience de la difficulté de toute concilier dans une situation aussi complexe.

En jouant avec les codes de la comédie maternelle, pourtant usée jusqu’à la corde, Sophie Letourneur réalise un très beau film plus fin et intelligent qu’il n’y paraît, dynamitant tous les clichés solidement accrochés à la binarité de genre, imposant aux femmes un désir d’enfant pourtant loin d’aller de soi.

Bande-annonce

2 septembre 2020 – De Sophie Letourneur, avec Marina Foïs, Jonathan Cohen et Jacqueline Kakou.




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