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EN DÉCALAGE

C’est une ingénieure du son talentueuse, passionnée par son travail. Un jour, elle découvre qu’elle commence à se désynchroniser. Elle réalise alors que son cerveau s’est mis à percevoir le son plus tard que les images qu’il reçoit. C. doit renoncer à son travail et reconsidérer toute sa vie.

Critique du film

Présenté à la Mostra de Venise dans la section Venice Days en 2021, En décalage part d’une idée improbable et pourtant bien réelle : son personnage principal, C., perçoit les sons environnants et les paroles de ses interlocuteurs plusieurs secondes après qu’ils ne se produisent. Progressivement, cette désynchronisation va s’accentuer, pour créer une situation de décalage sensoriel de plus en plus important – et résolument handicapant.

Pour accompagner ce dispositif franchement original, Juanjo Giménez Peña a logiquement fait le choix d’une mise en scène immersive pour traduire les sensations de sa protagoniste, une ingénieure du son. Délicieuse ironie. Comme elle, le spectateur entend ainsi les voix et les bruits après l’action qu’il découvre à l’image. Un parti pris audacieux que le cinéaste espagnol manie avec une grande habilité, offrant au passage quelques instants de grâce comme ce jeu de pistes qui conduit C. d’un café à une salle de cinéma, ou cette musique qui vient accompagner son regard alentour de nombreuses secondes après son écoute dans un casque. Il faut dire que Giménez Peña, après avoir pointé les désagréments de ce handicap, choisit d’illustrer les singularités que ce « don » peut offrir, accompagnant ce poignant portrait de femme isolée de touches de poésie bienvenues

Au-delà du récit délicieusement imprévisible, il est très appréciable de voir Giménez faire usage des infinies possibilités du cinéma. Par le prisme de cette distorsion sonore, il adopte une approche ludique de la façon dont le son peut manipuler les émotions et de les ressorts significatifs du langage corporel. Insufflant sur le tard une touche de surnaturel, le réalisateur espagnol bâtit admirablement son mystère jusqu’à pleinement nous y immerger.

En décalage

Dans En décalage, tout ce qui est important est ainsi caché ou différé. Tandis que C. tente de s’adapter à cette dyssynchronie, le spectateur découvre progressivement le background personnel de cette quadragénaire. Séparée d’un homme qui a rapidement donné un enfant à sa nouvelle compagne, C. retrouve cette mère qui ne lui a pas témoigné l’amour nécessaire à l’épanouissement d’un enfant. Sa disparition devient l’occasion d’un retour vers le passé, dévoilant les secrets entourant sa naissance.

Au coeur de ce puzzle sonore et mental rayonne l’excellente Marta Nieto, dont le talent illuminait déjà Madre de Rodrigo Sorogoyen. Avec sensibilité, elle véhicule de son apparente fragilité la profondeur psychologique de cette proposition cinématographique atypique. Fort de ces atouts, En décalage est un film aussi déroutant que plaisant, qui fonctionne à la fois comme un drame psychologique et une expérience sensorielle mettant à profit son dispositif sonore complexe pour aborder sa poignante histoire d’identité et de crise existentielle.

Bande-annonce

3 août 2022De Juanjo Giménez Peña, avec Marta Nieto




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