Drifting

DRIFTING

Fai sort de prison pour retrouver ses amis sans abris avec qui il vit depuis déjà plusieurs années. Comme lui ils sont consommateurs d’héroïne, et forment une petite communauté soudée. Après que leurs affaires soient jetées aux ordures par les forces de police, ils décident de protester et de se porter en justice.

Critique du film

Le cinéma de Hong-Kong des années 1980-1990 a exporté en occident un monde fait de violence et criminalité, par le biais d’œuvres comme Le Syndicat du Crime de John Woo, City on fire de Ringo Lam, ou la majorité de la cinématographie de Johnnie To. Il semble que toute une génération de cinéastes s’intéresse aujourd’hui au hors champ de ces situations et de ce cinéma de genre policier. A l’instar d’un cinéaste comme Ray Yeung (Un printemps à Hong-Kong), qui questionne la question des minorités sexuelles, Jun Li s’inscrit dans une volonté de montrer les déshérités de sa ville monde, un groupe de junkies vieillissant qui vit en marge de la réussite économique de cette place forte du sud-est de l’extrême Orient.

Dès l’introduction de Drifting, son nouveau film présenté en compétition dans la sélection Big Screen au festival de Rotterdam, nous faisons connaissance avec frère Fai mais aussi avec la prison. Si celle-ci marque le point de départ de cette histoire, elle jalonne l’existence de ces hommes et de ces femmes comme un passage obligé, récurrent, qui imprime sur leurs corps une différence notable et ineffaçable. La violence s’affiche dès les premiers instants et le retour dans la communauté où vit le personnage. La police intervient pour « nettoyer » la rue de leur présence, un angle anodin où ils avaient établi leur petit campement. Leurs affaires personnelles sont jetées comme des ordures, et ils doivent de nouveau se déplacer. La migration est un autre des thèmes qui revient sans cesse pour eux, leur présence gène, et régulièrement ils doivent trouver de nouveaux endroits pour s’établir.

Le film ne manque pas d’humour, même si toujours teinté de tristesse et de mélancolie. On voit les membres de ce petit convoi rivaliser d’ingéniosité pour se bâtir des abris les protégeant du vent et des intempéries, et même avoir un peu d’électricité pour être un peu plus à l’aise si cela est possible. Si Jun Li utilise frère Fai comme truchement, il s’attarde également sur plusieurs autres personnages, ce qui lui permet de diversifier son point de vue et épaissir son regard. Le jeune Muk est une des figures les plus singulières : il est à la fois hors norme par sa jeunesse, tranchant avec les plus âgés de la congrégation, silencieux voire presque muet, armé de son harmonica pour accompagner sa présence énigmatique. Il est aussi une sorte de double au fils décédé de frère Fai, un écho du passé pour ce grand blessé de la vie qui y voit un dernier soubresaut avant l’abandon final.

Drifting
Drifting est aussi un appel à la dignité, frère Fai et ses camarades se portent en justice pour obtenir réparation à leur préjudice d’avoir perdu toutes leurs affaires et papiers d’identité. Au delà d’une rétribution financière ils veulent des excuses publiques, pour que soit reconnu leur condition d’hommes et de femmes. Cette action en justice n’est au final qu’un fil rouge dans le film, une ligne de crête qui sépare les différents membre du groupe, entre volonté de toucher un peu d’argent, et un besoin de reconnaissance paroxystique chez frère Fai.

Plusieurs faits sont particulièrement troublants dans Drifting. Tout d’abord, l’acceptation de la mort, qui intervient beaucoup trop souvent dans leur groupe, et cette phrase prononcée par Fai, « le dehors n’est jamais qu’une autre grande prison ». Les destins brisés de ces personnages sont autant de coups au cœur, que ce soit l’adolescent qui a perdu son chemin et a choisi la rue comme fuite, le père qui a du abandonner son fils à la suite de mauvais choix, ou les femmes, travailleuses du sexe, qui ont investi la rue et la communauté comme seul possibilité de s’en sortir.

Jun li dérive entre tous ces portraits avec beaucoup de noirceur, révélant la face sombre du capitalisme outrancier qui sous-tend la construction de Hong-Kong. Les petites maisons de bric et de broc de cette communauté s’étendent en face de nouvelles constructions modernes vendues à haut prix à de nouveaux riches. Ce sous-prolétariat des rues fait injure à la grandeur arrogante de cette expansion qui grignote le moindre arpent de terre où ils pouvaient encore s’établir, en marge de la société. La violence des rapports sociaux décrite est terrifiante et interroge sur notre rapport aux autres au sein d’une société toujours plus inégalitaire. Montrer ce visage de Hong-Kong c’est aussi rendre justice à ces personnes qui n’obtiendront jamais d’excuses publiques pour avoir été traitées avec aussi peu d’humanité.


De Jun Li, avec Francis Ng, Loletta Lee et Tse Kwan-ho.





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