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DOMINGO ET LA BRUME

Dans les montagnes tropicales du Costa Rica, Domingo, qui a perdu sa femme, possède une terre convoitée par des entrepreneurs. Ils sont déterminés à y faire passer une nouvelle autoroute et rien ne semble pouvoir les arrêter. Multipliant les actes d’intimidation, ils délogent les habitants les uns après les autres. Mais Domingo résiste car cette terre referme un secret mystique.

Critique du film

Après El sonido de las cosas, non distribué en France, Domingo et la brume est le deuxième long métrage du costaricien Ariel Escalante Meza. Celui-ci nous parvient auréolé d’une sélection au Festival de Cannes 2022, dans la section Un certain regard. Le film se glisse habilement entre le social et le fantastique, pour témoigner d’un monde en perdition. De la fantasmagorie, émergent à la fois la beauté du film, sa colère salutaire et ses limites.

Il n’y a plus grand monde autour de Domingo, quelques résistants, une vache et des vautours chargés d’exproprier les derniers habitants du secteur pour permettre la construction d’une autoroute. Beaucoup sont déjà partis, certains hésitent mais Domingo est déterminé à ne pas se laisser faire. Ce n’est pas une question d’argent, en tout cas pas seulement. Le cinéma aime ces histoires de déracinement et d’indocilité. Pour le seul continent américain, on pense à deux superbes films. Aquarius du brésilien Kleber Mendonça Filho, la résistance pleine de superbe de Clara face aux appétits et manigances des promoteurs immobiliers. Et Milagro de l’américain Robert Redford (mais tourné en langue espagnole), une fable politique et fantastique pour raconter avec légèreté la lutte d’un village du Nouveau-Mexique contre un projet de parc récréatif. Domingo et la brume trace une ligne entre les deux, empruntant à l’un le combat individuel et à l’autre la manière de saupoudrer son récit de surréalisme.

DOMINGO ET LA BRUME

Si Domingo tient tant à conserver sa cabane, c’est que sa défunte femme, par l’entremise de la brume, lui rend visite. Et lui parle des « kilomètres de coton qui te caressent pendant que je suis loin ». Changer d’adresse, ce serait prendre le risque d’interrompre ce dialogue qui perdure par delà toute raison. Belle ambition que de vouloir prendre en charge, dans un même mouvement, l’amertume d’une extinction et la flamme d’une continuité. Domingo rassemble ces deux injonctions contradictoires que la mise en scène symbolise par un flux de ouate, à la fois enveloppe et étau. L’homme défend moins un territoire qu’un passé dont on apprendra, des rares discussions qu’il a avec sa fille, qu’il n’a pas à tirer gloire. Il y a du rachat dans l’air.

Visuellement superbe, le film offre des images habitées à la fois par l’inquiétude et le sentiment d’appartenance. Les scènes nocturnes sont filmées comme des parties de cache-cache où la moindre source de lumière semble pouvoir révéler un piège.

Mais davantage que par l’image, c’est par sa bande son, très bien travaillée, que le film développe une menace immanente. Le moteur d’une motocyclette envahit les tympans du vieil homme, comme un insaisissable moustique. Les sons de la nuit participent d’un basculement du paradis vers l’enfer. Au souffle de Domingo sont associées des musiques tribales qui semblent remonter du coeur de la terre, puis la rythmique se fait plus lourde. Domingo ne quitte plus son fusil, le drame devient alors inéluctable. Nous ne savons plus très bien si l’homme est acculé au désespoir ou en proie à une forme de paranoïa délirante qui le submerge et lui fait perdre tout contrôle.

Film avant tout atmosphérique, Domingo et la brume fait de la nécessité une vertu. Sans grands moyens, il réussit à transcender un drame social somme toute banal, par un fantastique anti-spectaculaire. Certains trouveront que précisément la brume pénètre le récit jusqu’à le glacer mais pour autant, Ariel Escalante Meza livre un film profondément sincère qui transforme par instants la colère en grâce tout en dressant le portrait d’un homme qui choisit de « régler la note » sans attendre la barrière du péage.

Bande-annonce

15 février 2023 – De Ariel Escalante Meza, avec Carlos Ureña, Sylvia Sossa




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