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DERBORENCE

Dans un village du Valais, Antoine Pont épouse Thérèse Maye. Quelques mois après, il se rend pour l’été sur l’alpage de Derborence, en contrebas du glacier des Diablerets, en compagnie de Séraphin, l’oncle de sa femme. Un soir, un énorme éboulement ensevelit leur chalet et l’ensemble de l’alpage. Alors que tout le monde le croit mort, il n’a pas été écrasé. 

Critique du film

On est rarement déçu par la section Trésors et curiosités proposée par le Festival Lumière. Parmi les dix films sélectionnés cette année, Derborence a bénéficié d’une très belle restauration de la part de la Cinémathèque Suisse, rendant grâce aux Scope et Dolby stéréo d’origine. Le décès récent de son réalisateur, Francis Reusser teinte cette sélection d’un discret hommage.

Le roman éponyme de Charles-Ferdinand Ramuz, paru en 1934, était réputé inadaptable, il n’en fallait pas davantage à Francis Reusser, enfant rebelle du cinéma suisse, pour se lancer dans l’aventure. Le résultat donne un film d’une puissance élégiaque étonnante. Adepte d’un cinéma sonore, le réalisateur déclarait vouloir faire de Derborence un oratorio. On est frappé d’emblée par le travail sur la bande son, véritable personnage du film, qu’il s’agisse de ceux enregistrés en prise directe, l’eau, le vent, les cloches ou bien des musiques additionnelles dont la variété favorise les ruptures de tons. Ainsi, la séquence de la catastrophe naturelle est habitée par une colère qui joue la carte de la grandiloquence hollywoodienne.

Au sommet de la montagne 

Avant la catastrophe, les scènes d’exposition situent le dilemme de Thérèse et Antoine. Rester vivre à la campagne, la vie y est rude mais belle, les femmes y sont veuves deux mois par an, ou partir trouver un travail pour lequel Antoine est qualifié ? Séraphin, l’oncle de Thérèse voudrait bien passer la main. Antoine découvre l’estive, guidé par Séraphin. Il s’amuse de l’écho que renvoie la montagne mais s’inquiète de son avenir. Francis Reusser réussit parfaitement à rendre l’ambivalence des lieux, en faisant d’une part de chaque plan de nature une petite épiphanie et en instaurant d’autre part une atmosphère d’insécurité, aussi bien sociale que physique. 

Plan est un pauvre berger à l’apparence d’épouvantail qui ne quitte pas la montagne. Ce diablotin des Diableret incarne les croyances paysannes ancestrales, les fables qui se transmettent de génération en génération. 

Comme restituer à l’écran les dimensions métaphysiques et poétiques du texte que l’on adapte ? Francis Reusser répond à la question en prenant des risques, il sort des récits battus, tente de mettre en frottement image et son, s’en remet aux allégories. Les éléments du décor peuvent aussi colorer un personnage. Ainsi le grand lit de Thérèse est un lit de conte, à lui seul, il confère à la jeune femme une dimension fabuleuse. La vie qu’elle porte est à la fois une promesse et une malédiction. Son personnage est enveloppé de musique, c’est lui qui a pour fonction de tirer le récit vers la lumière.

Lorsque Antoine revient, huit semaines après la catastrophe, il a l’apparence d’un revenant. Moment  de pure béatitude paradisiaque, Antoine dialogue avec une marmotte, dévale un pré, étreint une chèvre. Film vertical, Derborence joue habilement des plongées et contre plongées pour traduire le sentiment de transcendance avant de brutalement confronter ce fantôme à la vindicte villageoise. Il va falloir transformer l’irrationnel en incroyable.

Comme le vent sur l’arête de la pierre, le beauté de Derborence déferle en de multiples chants qui finissent par constituer une vision d’une grande puissance poétique.  On associera au plaisir de la découverte de cette rareté, celui de retrouver de grands acteurs un peu oubliés aujourd’hui : Bruno Cremer et Isabelle Otero dont les carrières ont été vampirisées par la télévision et Jean-Pierre Sentier, formidable second rôle trop tôt disparu.    




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