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DÉLICIEUX

A l’aube de la Révolution Française, Pierre Manceron, cuisinier audacieux mais orgueilleux, est limogé par son maître le duc de Chamfort. La rencontre d’une femme étonnante, qui souhaite apprendre l’art culinaire à ses côtés, lui redonne confiance en lui et le pousse à s’émanciper de sa condition de domestique pour entreprendre sa propre révolution. Ensemble, ils vont inventer un lieu de plaisir et de partage ouvert à tous : le premier restaurant.

Critique du film

Au même titre que les images que l’on vous offre sur un grand écran ont le pouvoir de vous ouvrir les yeux sur le monde, les mets que l’on vous sert à table ont celui de vous mettre les mots à la bouche. Parti de l’envie d’alimenter la conversation autour de ce qui fait la saveur du « typiquement français », l’on ne saurait s’étonner que le réalisateur du Goût des Merveilles continue ainsi de filer la métaphore, en signant avec Délicieux un subtil mélange entre cinéma, gastronomie et histoire.

Si en réalité, la naissance du premier restaurant s’étale sur de nombreuses années suite à l’abolition des corporations et à la libéralisation des échanges mis en place pour faire baisser les prix, celui qui donne en partie son nom au film se veut davantage une évocation d’un de ces premiers établissements qu’une fidèle reconstitution. Transformé petit à petit d’un simple relai de poste en un lieu de plaisirs et de partage, il symbolise aussi la dilatation du temps qui, semblant monter les long des murs comme le fumet des plats servis, amorce progressivement le parallèle avec la Révolution. Lieu de bouches multiples, tantôt gourmandes tantôt serrées, parfois revanchardes mais toujours avides, Eric Besnard choisi de le nicher non pas aux abords du Palais Royal comme l’aurait commandé l’image luxueuse que l’on donne traditionnellement à la cuisine française, mais en province. Un choix qui n’est pas sans faire écho au terme de terroir, qui à ce jour n’a pas su trouver traduction équivalente, et dont notre protagoniste se fera autant sympathique ambassadeur que farouche protecteur.

VIVRE POUR MANGER, ET NON MANGER POUR VIVRE

“Une humanité mieux nourrie est une humanité qui pense mieux.” Malgré une attention aux détails d’époque des plus minutieuse, qui se voit autant dans le soin apporté aux décors qu’à la complexité des costumes, le propos du film est d’une incroyable modernité. Baigné dans une lumière chaude et généreuse, encadrant chaque scène comme une suite de tableaux, Délicieux met habilement en appétit avec des visuels travaillés, comme pour amorcer une réflexion sur le dressage des assiettes de grands chefs. A mesure que l’intrigue progresse, il est question de dépasser le guindé des atours pour retrouver le goût seul des aliments, et de privilégier les circuits courts. Au contact plus direct de son fils et de son apprentie, le cuisinier Manceron s’interroge sur la façon d’appréhender le temps qui change, infusant lentement une dimension plus politique dans chaque nouvelle recette, et ce jusqu’à ce rêve d’entraide et de partage diamétralement opposé à l’organisation sociétale d’alors.

Ainsi, à la tablée outrageusement abondante du premier plan, où les nobles sont assis les uns à côtés des autres selon un ordre bien établi – et de sorte à ce qu’ils se toisent de part et d’autre du festin, il oppose la rencontre de tous les sens tandis que ses hôtes sont invités face à face autour de quelques plats nouveaux et dépourvus d’épices excessives. Faisant fi des fameuses échelles célestes des aliments, qui voulaient que plus ils sont aériens, plus ils sont divins, Manceron va imposer la pomme de terre et la truffe comme les nouveaux incontournables et au nez de son ancien maître – par le biais d’une petite pâtisserie baptisée savoureusement « amuse bouche ».

Delicieux

Servi par un Grégory Gadebois crédible en cuisinier bourru au grand cœur, Délicieux est également un festin de seconds rôles. Si le personnage du fils Benjamin, incarné par Lorenzo Lefebvre, pêche parfois par quelques excès dans sa retranscription appliquée d’un jeune homme du peuple nourri de la philosophie des Lumières, celui de Louise charme instantanément par ses multiples facettes et la subtilité du jeu d’Isabelle Carré. Ce personnage féminin, qui a toujours une longueur d’avance sur les autres car maîtrisant les codes, va insuffler le goût de l’accueil et le sens du commerce à Manceron – les deux personnages formant alors un couple construit autour d’un projet commun, et toujours dans le respect mutuel. Quant à Benjamin Lavernhe en duc de Chamfort détestable de condescendance, tantôt maniéré à l’outrance comme un coq enfariné ou au contraire mis à nu dans une scène finale qui prend des airs de cerise sur le gâteau, il s’invite une nouvelles fois dans nos cœurs avec une prestation qui s’offre incontestablement les répliques les plus savoureuses du film.

A l’image de la petite douceur qui porte son nom, d’apparence réduite et dont les ingrédients font partie de ceux que l’on peut considérer comme banals, Délicieux regorge de saveurs et de pointes d’audace, qui achèvent d’amuser intelligemment l’esprit et de régaler les yeux.

Bande-annonce

8 septembre 2021 – De Eric Besnard, avec Grégory GadeboisIsabelle Carré et Benjamin Lavernhe




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