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DÉDALES

Une novice de 19 ans quitte en cachette son monastère pour régler une affaire urgente en ville. Le soir même, sur le chemin du retour, son destin bascule. Marius, l’inspecteur de police en charge de l’enquête, est déterminé à résoudre l’énigme par tous les moyens, mais l’affaire tourne vite à l’obsession.

Critique du film

Maîtriser le temps, dit-on, c’est lorsque celui-ci vous rend des comptes. À supposer qu’un réalisateur est l’horloger méticuleux de la mécanique de sa narration, travaillant rythme et symétrie pour mieux inviter son spectateur à suivre au plus près la trajectoire de ses personnages, Dédales de Bogdan George Apetri entre sans conteste au panthéon très fermé des modèles du genre.

Présenté lors de la dernière Mostra de Venise, qui avait vu triompher l’Évènement d’Audrey Diwan, Dédales s’inscrit plus largement au sein d’un triptyque de films ayant tous pour point commun de se dérouler dans la ville natale du réalisateur. Si les histoires sont toutes indépendantes, les personnages s’y rencontrent et se croisent, chacun y trouvant tour à tour une place soit de protagoniste, soit de second rôle clé. Un espace de cinéma qui pose d’emblée un cadre à part, invitant son public à examiner chaque évènement au travers d’un regard multiple, et questionnant sans cesse ce qui est proposé à l’écran. Investi, repérant presque instantanément les éléments à l’image tels des indices ostensiblement semés pour mieux être confondu, le spectateur se retrouve happé dès les premiers instants dans une suite de pistes qui livrent leurs secrets au rythme d’un compte goutte aussi intelligent que glaçant.

C’est sans doute cet enchainement d’éléments qui sont autant de repères ouvrant finalement sur l’inattendu qui aura motivé le choix du titre francophone du film. En effet, c’est bien dans de véritables Dédales que vont s’engouffrer Cristina et Marius, victime et policier liés par bien d’avantage que l’enquête menée par le second pour tenter de retracer le chemin parcouru par la première.

Dédales

Divisé en deux chapitres très clairement délimités, le film se distingue indéniablement par son rythme de narration. Plantant son décor dans la banalité du quotidien d’une petite ville de campagne dont la principale attraction culturelle et touristique est le monastère où réside Cristina, c’est à elle que s’accroche le récit en plongeant littéralement dans son monde par l’intermédiaire d’une bassine d’eau bénite dans laquelle est projeté son reflet.

Par le jeu des regards à la dérobée, les chuchotements et le battement des aiguilles de sa montre que viendront par la suite relayer le tintement des cloches de la chapelle avoisinante, la tension s’installe quasi instantanément. La grande intelligence de Bogdan George Apetri réside alors dans le fin dosage des éléments rythmant le chemin de la jeune novice, dont on peut deviner la destination et certaines de ses motivations, mais dont les détours éveillent sans cesse de nouvelles interrogations. Aussi bouleversante que solaire, Ioana Bugarin donne au personnage de Cristina une dignité et une fraicheur qui contraste fortement avec son environnement. Du monastère aux règles strictes à la petite ville et ses interactions avec les habitants, elle se livre peu à peu, retrouve le sourire et s’autorise quelque peu à vivre à nouveau. Alors, lorsque l’horreur se produit, elle est d’autant plus violente qu’elle est filmée hors-champ, en un plan-séquence où la caméra tourne une fois sur son axe, lentement, tandis que le bruit de circulation de la route avoisinante et le galop de deux cavaliers rappellent le quotidien de la campagne.

Dédales

La deuxième partie du film suit Marius, inspecteur de police chargé d’enquêté sur les évènements. Méticuleux, factuel et pragmatique, son apparence sans concessions et toute dévouée à faire avouer les faits au suspect en détention contraste elle aussi tant avec ceux qu’il interroge que ceux avec lesquels il travaille.

A mesure qu’il retrace les pas de Cristina, il devient évident que l’affaire le touche de plus près, et qu’il s’agit moins pour lui d’un de ses derniers dossiers avant sa promotion que de rassembler les preuves contre celui dont il semble persuadé qu’il est coupable. Emanuel Parvu livre lui aussi une grande performance, aussi physique qu’habitée par l’obsession de la vérité. Une obsession qui n’est pas sans questionner, et ce d’autant plus lorsque sont révélés les liens qui l’unissent à Cristina. Si le film travaille l’ambiguïté avec suffisamment de finesse pour arriver plus d’une fois à déjouer les attentes des spectateurs, les motivations du policier sont celles qui ne réussissent pas complètement à convaincre – ses explosions de colère menant d’avantage à penser qu’il s’inscrit d’avantage dans un parcours de rédemption et d’apaisement personnel.

Malgré quelques réserves quant à certaines révélations émaillant le récit, ainsi qu’une scène de fin dont l’interprétation laissée libre au spectateur ne saurait totalement expliquer son titre original « Miracol » – miracle, en français – Dédales est un film d’une grande maîtrise, aussi efficace qu’intelligent. Un thriller poignant et actuel, qui appelle à suivre de près le prochain travail de son réalisateur.

Bande-annonce

20 juillet 2022 – De Bogdan George Apetri
avec Ioana Bugarin, Emanuel Parvu et Cezar Antal




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