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DARK CRYSTAL

Un autre monde, un autre temps, à l’âge des miracles… Jen et Kira, seuls survivants de la race des Gelfings, partent à la recherche d’un éclat de cristal gigantesque, abîmé dans une commotion planétaire, qui donne force et puissance aux Mystiques, un peuple sage et pacifique. Ils doivent affronter les terribles et cruels Skekses qui tiennent ces derniers en esclavage.

Le dernier éclat

Trois soleils éclairent le monde de Thra. Un immense cristal, gardé par des êtres semi-divins (les UrSkeks) au fin fond d’un mystérieux château, accumule la lumière de ces trois soleils, afin de la restituer sous forme d’énergie vitale aux êtres peuplant ce monde. Or, depuis un millier d’années, le cristal s’est assombri. Afin de répondre à ce mal, les Urskeks  profitèrent d’une grande conjonction (alignement des trois soleils) pour faire voler en éclats le cristal. Cela ne fit qu’empirer le mal, perturbant l’équilibre fondamental de Thra. Les Urskeks eux-mêmes se divisèrent en deux races : les bons et paisibles Mystiques, et les colériques et cruels Skeksès. Ces derniers s’emparèrent du château afin de profiter exclusivement du pouvoir amoindri du cristal, tandis que les Mystiques furent obligés de s’exiler.

C’est alors qu’Aughra, la gardienne des secrets, formula une prophétie, selon laquelle le pouvoir des Skeksès sera renversé et le cristal entièrement reconstitué par un représentant de la race des Gelflings, de petits êtres elfiques. Les Skeksès décidèrent donc de les exterminer, mais un bébé, Jen, survécu au massacre, et fut recueilli par les Mystiques. Alors que son maître est mourant, Jen découvre sa mission : avant la prochaine grande conjonction, il devra retrouver le dernier éclat manquant du cristal afin de le guérir. Il se lance alors dans une dangereuse quête, et découvrira qu’il n’est pas le dernier membre de son espèce…

 

Un film monde

 

Alors connu comme le créateur génial de la série pour enfants Sesame Street (créée en 1969), Jim Henson découvre le travail de l’artiste Brian Froud en 1976, année où il développa le génial Muppet Show. Les illustrations féeriques et mystiques de Froud convainquent Henson d’entamer une collaboration avec lui, aboutissant l’année suivante à un projet de film.

Dès le départ, l’ambition d’Henson est énorme. Il veut créer un univers entier, composé de nombreuses espèces fantastiques, dotées, pour chacune d’entre elle, d’une langue inventée spécifiquement pour le film (les Gelflings étaient la seule exception, parlant simplement anglais). Mais ce n’est pas tout : Henson choisit de montrer le passé presque mythique de ce monde appelé Thra, et le rattache à la tradition épique en y introduisant l’existence d’une prophétie légendaire.

Henson voulait qu’un maximum de scènes soit tourné en physique sur le plateau. Marionnettiste de profession, il entend également participer à l’animation des personnages. Ne pouvant endosser autant de responsabilités, il décide de partager la casquette de réalisateur et de scénariste avec son ami Frank Oz, doubleur et marionnettiste de Yoda (dont la marionnette a été créée par Wendy Froud, la femme de Brian Froud !) sur L’Empire Contre-attaque.

Petit à petit, de nombreuses créatures sont imaginées, mais se confrontent aux contraintes pratiques du plateau. Henson décide donc d’engager le mime Jean-Pierre Amiel pour animer les personnages les plus complexes. Mis à part le château, tous les décors sont construits à taille réelle. Plusieurs marionnettes sont donc colossales, et certaines nécessitent jusqu’à cinq marionnettistes pour être animés ! Henson anime le personnage de Jen, et invente de nouvelles techniques pour avoir un rendu le plus naturel possible à l’écran.

Le budget est colossal pour l’époque (15 millions de dollars), et l’ambition démesurée d’Henson fait peur aux producteurs. Gary Kurtz, producteur de Star Wars, comprend l’idée d’Henson, mais canalise son imagination, afin que le projet reste attractif. Ainsi, le réalisateur se verra obligé de faire redoubler le film intégralement en anglais, le public n’arrivant soi-disant pas à suivre l’intrigue lors des premières projections test. Cela n’enlève rien à l’époustouflante texture de l’imaginaire conférée par ces magnifiques marionnettes.

 

Une philosophie monde

 

Le film brasse de nombreuses influences littéraires, elles-mêmes tributaires de philosophies alors en vogue dans les Etats-unis des années 70 : les sagesses bouddhistes et hindouistes sont digérées par plusieurs courants philosophiques New Age, qui interrogent l’équilibre spirituel de l’individu.

Dans Dark Crystal, tout est question d’équilibre : tous les êtres vivants sont connectés à la même source d’énergie (le cristal), et la stabilité du monde dépend de la nécessaire entente entre les différentes espèces. Même les horribles Skeksès auront leur rôle à jouer, car il sont la moitié indispensable de ces êtres autrefois appelés UrSkeks. L’autre partie, ce sont les Mystiques. D’un côté l’impulsivité, de l’autre, la sagesse. D’un côté, la cruauté, de l’autre, la bonté.

Ce qui est formidable dans Dark Crystal, c’est que le récit n’aboutit pas à un dénouement manichéen, mais à la sublimation de son propre horizon philosophique : les Skeksès et les Mystiques sont réunis de nouveau, Jen n’a pu guérir le cristal qu’avec l’aide de Kira, sa semblable Gelfling, et le « Dark Crystal » peut enfin faire rayonner la lumière sur le monde de Thra. L’équilibre est là. Sans la noirceur du cristal, aucune scintillement de lumière, sans impulsivité, pas de sagesse, sans équilibre entre les sexes, pas d’espoir. Et outre la richesse du monde visible à l’écran, les quelques grognements d’Aughra nous font comprendre que Thra n’est que l’incarnation partielle d’une cosmogonie plus large, sa réalité étant elle-même traversée par de nombreux plans astraux où l’âme du défunt maître de Jen veille sur son protégé.

Dark Crystal est une oeuvre sublime, extrêmement ambitieuse sur les plans esthétique et philosophique, mêlant adroitement les influences pour produire un récit aussi épique qu’émouvant. À voir, à étudier et à rêver tout au long de sa vie.


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