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CYRANO DE BERGERAC

Les aventures du célèbre et turbulent cadet de Gascogne, amoureux de sa cousine, Roxane, vues par le réalisateur de « La Vie de château » et le scénariste Jean-Claude Carrière. « Il s’agissait de faire un film. Nous ne pouvions nous contenter d’une simple mise en images de la pièce. Nous voulions donner à cette histoire que nous aimions la dynamique et la tension d’un film. Le vrai pari du film, c’est que les personnages y parlent en vers. »

La danse des vers

A lire la pièce d’Edmond Rostand, on se dit qu’elle est taillée pour l’adaptation sur grand écran. Telle qu’écrite par son auteur, Cyrano de Bergerac est une œuvre ample, à grand spectacle, nécessitant des décors d’envergure et un nombre certain de comédiens sur scène. On a souvent l’impression que, s’il l’avait pu, Rostand aurait poussé les murs du théâtre. Et ce fut clairement l’ambition de Jean-Paul Rappeneau lorsqu’il entreprit de porter à l’écran cette pièce maîtresse du répertoire.

Pour autant, Cyrano de Bergerac n’en reste pas moins une pièce éminemment théâtrale avec son importance donnée au verbe, à commencer par son écriture en alexandrins et les tirades déclamées par son héros. Adapter Cyrano sans le trahir c’est donc transformer sa narration et sa rythmique tout en respectant ses mots. Une tâche ardue mais qui ne rebutera pas Rappeneau, connu pour travailler longuement et méticuleusement sur ses projets, au point de n’avoir réaliser que huit films en 50 ans de carrière.

Il fait appel à Jean-Claude Carrière, scénariste mais également auteur de théâtre, pour l’aider à transposer les vers de Rostand à l’écran. Le duo conserve l’essentiel de la pièce, mais modifie sa dynamique pour la rendre plus cinématographique. Ils commencent par resserrer l’action en raccourcissant certains passages (le film dure 2h15, là où la pièce en cinq actes s’étend sur plus de 3 heures), puis délocalisent des actions pour multiplier les décors, et enfin intègrent quelques nouvelles séquences, le plus souvent muettes ou avec des vers écrits dans l’esprit de Rostand, pour donner cohérence et fluidité à l’ensemble. En termes d’écriture déjà, le contrat est rempli haut la main, le scénario a su se défaire des contraintes théâtrales et adapter la danse des vers de Rostand au langage cinématographique. Reste alors à transformer l’essai et faire coïncider la chorégraphie des images à celles des mots.

Et le terme de chorégraphie convient plutôt bien à la mise en scène de Rappeneau. Les plans sont très souvent en mouvement et suivent le rythme des répliques. Le montage, vraisemblablement déjà bien réfléchi en amont du tournage, fait de même ; les plans sont généralement longs, laissant se dérouler le texte, et les coupes sont dictées par la rythmique de celui-ci. Si les vers et les comédiens sont au cœur de la mise en scène, le film prend clairement ses distances avec tout côté théâtral. Les plans et le montage suivent le jeu des comédiens et le sens du texte mais viennent aussi apporter un regard, qui est imposé au spectateur contrairement au théâtre.

Briser les murs

Par ailleurs, par l’énorme ambition de sa production, Cyrano de Bergerac veut clairement briser les murs du théâtre pour offrir un film à grand spectacle. Multiples décors (dans des extérieurs historiques ou en studio), costumes somptueux, séquences avec des centaines de figurants, duels à l’épée, scènes de bataille au siège d’Arras, musique symphonique… Cyrano de Bergerac est une production d’ampleur comme on n’en voit plus dans le cinéma français aujourd’hui. Loin des décors de théâtre, le Cyrano de Rappeneau reconstitue avec minutie le XVIIe siècle qu’il prend pour cadre. Ce parti-pris d’un film très réaliste est pour le moins intéressant, là où certains auraient cherché à ajouter par la forme une poésie supplémentaire à l’histoire et aux vers écrits par Rostand.

Même la musique de Jean-Claude Petit se fait souvent discrète, soulignant subtilement les vers. Il n’y a qu’à quelques moments, notamment lorsque Cyrano dévoile sa fragilité, que la photographie de Pierre Lhomme s’autorise à être plus poétique. Autre entorse à ce parti-pris, le personnage de l’enfant admiratif de Cyrano qui vient à plusieurs reprises rappeler le statut iconique du héros, alors même qu’il est parfois mis à mal par une mise en scène qui privilégie le réalisme au théâtral.

Si Rappeneau atténue quelque peu l’aura de Cyrano, c’est que le cinéaste semble plus intéressé par ses faiblesses. Le réalisateur n’a d’ailleurs pas choisi par hasard Gérard Depardieu pour incarner le héros. Le comédien partage avec son personnage une fragilité, une sensibilité derrière sa stature imposante et sa verve assurée. Rappeneau avait en tête Depardieu dès le stade de l’écriture, le comédien a donc incontestablement influencé l’adaptation de la pièce. L’ensemble du film tourne autour de cette dualité que partagent le héros et le comédien. Le panache dont se pare Cyrano ne sert qu’à cacher une détresse intérieure, un manque d’amour.

Pour masquer cette faiblesse, il se rebelle contre le monde, s’impose une stature de solitaire qui l’isole d’autant plus. Depardieu livre une prestation très humaine du personnage de Cyrano, allant dans le sens voulu par Rappeneau d’une version moins théâtral de la pièce. Le cinéaste avait notamment demander à ses comédiens de ne pas déclamer les vers mais de n’en garder que la musicalité, pour livrer des prestations plus naturelles. Si Depardieu domine le film (la prestation du comédien sera saluer d’un Prix d’interprétation à Cannes et d’un César), les seconds rôles le supportent admirablement, de Jacques Weber, qui campe un De Guiche délicieusement pérorant, à Anne Brochet, douce et délicate Roxanne, image même de l’héroïne romantique, en passant par Vincent Perez, alors tout jeune mais apportant néanmoins du relief au personnage de Christian.

Le cinéma de Rappeneau partage avec la pièce de Rostand un caractère indubitablement populaire (au bon sens du terme), il était donc le cinéaste le mieux placé pour porter Cyrano de Bergerac à l’écran. Et ce n’est pas le succès public et critique qui le démentira ; le film réunira plus de 4,5 millions de spectateur en salles, fera une belle carrière internationale, dominera la cérémonie des César en 1991, remportera un Oscar, un Golden Globe et plusieurs BAFTA, et inscrira à jamais Gérard Depardieu comme l’un des interprètes les plus mémorables du héros d’Edmond Rostand.


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