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CRAZY BEAR

Le film est basé sur un fait divers hallucinant : en 1985 une cargaison de cocaïne disparue après le crash de l’avion qui la transportait, avait été en fait ingérée par un ours brun. CRAZY BEAR est une comédie noire qui met en scène un groupe mal assorti de flics, de criminels, de touristes et d’adolescents qui convergent tous au cœur d’une forêt du fin fond de la Georgie vers l’endroit même où rode, enragé et assoiffé de sang, un super prédateur de plus de 200 kilos, rendu complètement fou par l’ingestion d’une dose faramineuse de cocaïne.

Critique du film

Comment Crazy Bear, un film au postulat si transgressif, a-t-il pu à ce point devenir une pâle comédie inoffensive ? L’attente suscitée par son titre anglais (Cocaine Bear) laissait planer un long-métrage déluré et interdit, quitte à verser dans le mauvais goût numérique et sanguinolent sans émettre une once de réflexion sur le bien-fondé de son système. L’inverse apparait instantanément, transformant le concept d’ours dépendant aux substances illicites en une banale créature sanguinaire entraperçue, au comportement aberrant très peu mis en avant.

LA SENSATION DE MANQUE

La facture terne d’une telle entreprise s’explique régulièrement par trois raisons parfois distinctes : un manque d’ambition au moment de la pré-production, un manque de talent ou d’intuition au sein de l’équipe technique ou bien un manque de temps pour soigner l’ensemble et lui donner le cachet espéré. Crazy Bear a cette faculté exemplaire de combiner les trois raisons. Le départ du tandem Matt Bettinelli-Olpin-Tyler Gillett, d’abord engagés pour tenir la barre de la mise en scène, aurait eu raison d’une partie de l’édification de l’équipe technique engagée. Ainsi, l’œuvre se retrouve assez bâtarde, oscillant entre des arcs narratifs plus sérieux et alertes (une jeune femme cherche sa fille dans les bois, un chef de pègre doit retrouver des sacs de cocaïne dans ces mêmes bois pour sauver toute sa famille des cartels) et un ton léger, obnubilé par son « high-concept » qu’il parait presque se refuser à transcender au-delà de quelques meurtres presque tous commis en hors-champ.

Crazy bear
Le scénariste du film, Jimmy Warden, alignant les poncifs éculés de la prise de drogue, pourrait sous-entendre les difficultés de construire une œuvre radicale ou assez sidérante de bêtise pour remporter la mise et conquérir les cœurs des spectateurs les plus friands d’humour « trash ». L’intérêt sous-jacent du synopsis était de s’amuser à voir par un miroir déformé le comportement d’un animal imposant sous substances illicites. Ne plus réussir à interpréter son excitation, ses coups de sang, voire une kyrielle d’actions absurdes qu’il pourrait commettre dans un état second.

Or, après une exposition introduisant vaguement l’ours et la potentialité bis qui découlerait du concept, le long-métrage interrompt brutalement cette optique pour se concentrer sur une dizaine de personnages se rendant près de la tanière du mammifère. On constate que Crazy Bear possède beaucoup trop de personnages (pas moins de quinze, à peine hiérarchisés dans l’ordre narratif), et ces derniers ne sont ni creusés, ni même théorisés par un quelconque geste « elevated ». Tous les actants n’existent donc que comme potentielle chair à canon à cet animal halluciné sur lequel quelques espoirs graveleux de spectateurs étaient fondés. Par conséquent, tous ces personnages sont reliés entre eux par des arcs assez maladroits et inconsistants, prétextes à quelques situations de quiproquos ou comiques de situations identiques les unes les autres, régulièrement hors-sujet avec l’ursidé cocaïné qu’on nous avait tant vendu sur le papier.

SOIXANTE-DIX-NEUF KILOGRAMMES DE GÂCHIS

Enfin, le choix de Phil Lord et Chris Miller – producteurs du projet – de transmettre les rênes de la réalisation à une personne comme Elizabeth Banks interroge. Que cette dernière ait beaucoup d’humour et n’hésite pas à jouer dans des films à l’humour très « bas de plafond » (Pitch Perfect, My Movie Project, La grande aventure Lego) est un fait avéré. En revanche, elle parait avoir le plus grand mal à convertir les quelques blagues fades du script en des moments qui pourraient ne serait-ce que prêter à sourire.

La réalisatrice réussit d’ailleurs l’exploit de rater l’intégralité du tempo comique de chacune des séquences, d’offrir un découpage de scènes parfois inexplicable – le dernier tiers est indigne d’une production à 35 millions de dollars comme celle-ci – et de ne pas savoir cadrer une séquence pour lui donner un tant soit peu d’intensité comico-dramatique. Tout est suréclairé, le son n’est aucunement travaillé en dépit d’un décor sylvestre foisonnant, la musique pop des années 80 omniprésente pour « sursignifier » sans raison la décennie dans laquelle se situe l’histoire. En outre, Banks ne parvient à rien tirer d’un casting insipide et aux abonnés absents malgré quelques noms curieux sur le papier (Keri Russell, Alden Ehrenreich, Ray Liotta – dont il s’agirait du dernier film qu’il aurait tourné avant son décès). La faute à un ensemble rachitique qui les sacrifie sur l’autel de la vacuité et les empêche de pleinement pirater le procédé filmique pour l’amener vers une dimension plus nanardesque qui lui aurait sans doute permis de se sauver un tant soit peu.

Crazy bear
Beaucoup de cinéphiles avertis et assidus s’interrogeaient du bien-fondé de quelques propositions étranges dont le rapport moral et esthétique provoquait une forme de rejet immédiat. Les Hyper Tension de Mark Neveldine et Bryan Taylor, Torque – La route s’enflamme de Joseph Kahn ou autres La peur au ventre de Wayne Kramer bénéficiaient néanmoins d’un apport certain : celui de n’avoir pas froid aux yeux et de croire en sa bêtise jusqu’à la dernière seconde du générique de fin. Crazy Bear, convaincu par avance de la posture « cool » de son « sujet en or » et de la potentialité d’être déjà culte avec un cynisme décomplexé, est d’une faiblesse et d’une facilité tellement aberrantes qu’il ne fait qu’engendrer de la frustration. Un « direct-to-video » de luxe fainéant, miraculeusement propulsé dans les salles obscures, sclérosé à tous les étages, qui ne mérite que l’indifférence.

Bande-annonce

15 mars 2023D’Elizabeth Banks, avec Keri Russell, O’Shea Jackson Jr. et Christian Convery.




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