CLOSE UP
En se faisant passer pour le célèbre cinéaste iranien Mohsen Makhmalbaf, un homme pauvre et sans emploi, Hossein Sabzian, abuse une famille bourgeoise. Kiarostami filme son procès pour escroquerie, et reconstitue, avec les intéressés eux-mêmes, ce jeu de rôles, de dupes et de rêves avec le cinéma.
Mise en abyme
30 ans après sa sortie, Close up garde un pouvoir de fascination intact et inépuisables semblent être les pistes de réflexion que le film ouvre sur la nature même du cinéma.
Soit un article qui retient l’attention d’Abbas Kiarostami à la rubrique « Faits divers » d’un magazine. Deux chefs d’accusation pèsent sur Hassein Sabzian en attente de son procès : usurpation d’identité et tentative d’escroquerie. L’identité usurpée est celle de Mohsen Makhmalbaf, cinéaste le plus populaire du pays. Il n’en faut pas davantage à Kiarostami pour suspendre toute activité (il est à trois jours d’un début de tournage) et partir à la rencontre de cet homme qui dit avoir agi par amour du cinéma.
Un jeu qui tourne mal
Le film commence par la scène d’arrestation, filmée à distance, du point de vue du chauffeur de taxi qui conduit sur les lieux du délit, forces de l’ordre et journaliste. L’excitation du reporter, persuadé de tenir un sujet sensationnel, imprime à cette séquence une tension que le calme de la situation rend déplacée.
Close up navigue entre fiction et documentaire, alternant scènes de reconstitution du fait divers et enregistrement du vrai procès de Sabzian. D’une part, Kiarostami introduit du faux dans le réel, demandant aux protagonistes de rejouer les scènes vécues. D’autre part, il fait du tribunal un décor de cinéma en installant deux caméras. Une grand angle dont la fonction est d’enregistrer les débats. Et une seconde qui cadre Sabzian en gros plan. C’est elle qui donne son titre au film. « Tout ce que tu penses que le tribunal ne croira pas, tu le diras à cette caméra ».
La grandeur du film tient dans ce dispositif simple et vertigineux. Le tout petit mensonge initial de Sabzian – il répond oui à la question « vous êtes Mohsen Makhmalbaf ? » – alimenté à la fois par la conviction de Sabzian et la crédulité de la famille Ahankhah, finit par prendre une dimension incontrôlable. Pour jouer il faut être deux, chacun son rôle, bonjour Madame la marchande, bonjour Madame la cliente. Kiarostami, qui a filmé l’enfance comme personne, a eu en quelque sorte, l’intuition que pulsaient chez Sabzian des forces intérieures semblables à celles de l’innocence du jeu. Son film s’appuie sur cette croyance et la met en abyme à travers la double relation acteur/cinéaste et public/cinéma.
Flattée par l’intérêt que lui porte un cinéaste aussi réputé que Makhmalbaf, la famille Ahankhah accepte de jouer le jeu. Sabzian/Makhmalbaf leur propose de tourner son prochain film avec eux, chez eux. Grisé par le respect que lui prodigue son identité d’emprunt, Sabzian prend son rôle très au sérieux.
Si les protagonistes se retrouvent au tribunal, c’est moins pour une petite somme d’argent soustraite que pour l’abus de confiance. Ils ne peuvent pas pardonner à Sabzian d’avoir joué avec leurs sentiments. Une fois démasqué, Sabzian redevient un misérable au profil de coupable idéal.
De l’art ou de la loi
Le double agencement d’images mis en place par Kiarostami lors du procès oppose l’oeil de la loi à celui de l’art. Le temps du premier est compté, on attend de lui une réponse, un jugement. La responsabilité de l’art est au contraire de prêter attention à ce qui se passe à l’intérieur des êtres humains afin de ne pas juger trop vite. Lorsque Kiarostami rend visite à Sabzian, alors emprisonné, ce dernier accepte le projet du film en précisant «vous pouvez exprimer ma souffrance dans vos films». Les motivations des Ahankhah ne sont pas révélées mais on peut imaginer que finalement, eux aussi ont un désir fort d’appartenir, d’une manière ou d’une autre à la famille du cinéma. Le succès de Close up, film qui a véritablement installé Kiarostami dans le paysage cinématographique mondial répondra à leur attente.
La séquence de l’arrestation est rejouée, entre deux scènes de procès, mais cette fois, vue depuis l’intérieur de la maison. Sabzian comprend que le piège se referme sur lui. Paniqué mais pro jusqu’au bout, il garde une contenance comme si la perdre revenait à trahir son rôle et modèle.
Close up révèle la nature cannibale du cinéma en tant qu’il prend la réalité, la digère et la recrache semblable et différente à la fois. C’est aussi, merveilleux paradoxe, le film qui remet en selle Sabzian, lui faisant retraverser le miroir, de la prison à l’écran, dans un mouvement inverse mais non moins fabuleux de celui effectué par Tom Baxter dans La Rose pourpre du Caire de Woody Allen. Le film ne fait pas de Sabzian un déliquant, pas davantage une victime, il en fait un possédé, un frère de cinéphilie. Impossible de ne pas ressentir une forte sympathie pour cet homme qui selon la formule de Simone Weil éprouve le besoin du risque, essentiel à l’âme.
Les deux Makhmalbaf, chevauchent lors de la bouleversante séquence finale une même moto. L’attelage compose une chimère qui apparaît alors comme la parfaite fusion du vrai et du faux. Connaissons-nous plus belle allégorie du cinéma ?
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Pour aller plus loin : voir le documentaire Close up long shot de Mahmoud Chokrollahi et Moslem Mansouri. Cinq ans après la sortie du film, les deux réalisateurs ont retrouvé Hossein Sabzian qui exprime ses motivations d’alors et ses états d’âme.