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CHRISTINE

Arnie, adolescent timide et complexé, fait un jour la rencontre de Christine, une Plymouth Fury de 1958, laissée en piteux état. Tombé sous le charme, il décide de l’acheter, afin de lui redonner une seconde jeunesse. Passant la majorité de son temps avec sa nouvelle voiture, Arnie change de comportement : désormais sûr de lui et à l’aise avec les filles, il devient également plus colérique et violent avec son entourage. Son obsession pour Christine se transforme alors en névrose. Mais le plus terrifiant est que cette obsession est réciproque…

Christine, ou l’altérité révélatrice de la violence masculine

Comme le souligne Eric Dufour dans Le cinéma d’horreur et ses figures, l’un des grands thèmes du cinéma de John Carpenter, c’est la représentation de l’altérité. On a bien évidemment en tête le masque blanc de Michael Myers, le brouillard de Fog, la créature dans The Thing, le liquide verdâtre de Prince des Ténèbres, ou bien encore cette très chère Christine. L’altérité est une figure incontournable de l’horreur, car elle se caractérise par sa glaçante absence d’humanité. Insaisissable, elle ne s’exprime que dans un décalage entre ce qui apparaît et ce qui est. Dans Christine, la voiture est bien vivante. « C’est l’animé qui revêt le masque de l’inanimé ».

Il n’est donc pas étonnant que le scénariste Bill Philips, en collaboration avec Carpenter, ait axé son adaptation du roman de Stephen King (sorti la même année que le film) sur la figure de la voiture. Christine est le catalyseur de l’horreur, aussi bien dans la dissimulation de sa vraie nature (dont on ne saura rien), que dans la révélation de la part d’ombre du jeune Arnie. Pure incarnation du mal, cette Plymouth Fury de 1958 n’est pas le reflet de son propriétaire : elle est l’altérité lui révélant sa propre violence, notamment dans son rapport à la virilité. Le mal est d’autant plus vicieux qu’il sait très bien où appuyer pour nous faire fléchir. Le film nous montre d’ailleurs très bien la frustration d’Arnie avant sa rencontre avec Christine : au lycée, le jeune homme est souvent relégué au second plan, parfois dans le flou, baissant les yeux après une blague pas drôle. Le plus triste, dans tout cela, c’est qu’Arnie a conscience de ce qu’il est aux yeux des autres : une inadéquation fondamentale à l’égard des normes (physiques, sexuelles, genrées) en vigueur. Or, nous allons comprendre que le jeune homme cache en lui une violence qui ne demande qu’à s’exprimer.

L’horreur dont on ne sort pas

C’est justement ce décalage (entre ce qui apparaît et ce qui est, encore une fois) qui va le rapprocher de Christine, alors cabossée et laissée à l’abandon. S’instaure alors une relation aussi érotique que malsaine entre les deux, qui va laisser quelques cadavres sur leur passage. Retrouvant son rouge sang de naissance, Christine brille de nouveau, monopolise toute l’attention d’Arnie, jusqu’à vouloir se substituer exclusivement aux filles qu’il arrive désormais à séduire. L’idée de la voiture en tant qu’entité féminine était déjà présente en sous-texte dès la scène d’introduction : face à l’absence de délicatesse des mécaniciens et autres inspecteurs de qualité (on ne laisse pas de cendre sur les sièges !), Christine tranche net, au sens littéral du terme : on ne la touche pas comme on toucherait une simple voiture. Si les mains sont trop baladeuses, la carrosserie grince, les voyants tournent au vert zombie, et le capot se referme violemment sur vos doigts (je passe outre la possible interprétation du logo en « V » situé sur le par-choc…). Objet de tous les regards, Christine ne se laisse pas faire. Cela pourrait créer une forme d’empathie, mais ne nous faisons pas d’illusion : cette voiture est, encore une fois, une altérité qui révèle la violence de êtres qu’elle croise sur sa route.

Ce caractère profondément insaisissable pourrait être résumé par la bande-son accompagnant presque tous les meurtres de la voiture, essentiellement composée de joyeux morceaux rock des années 50, occupant la fonction d’une sorte de chœur antique cynique et malsain (lorsque le mécaniciens s’installe au volant sans grande délicatesse, la voiture répond par la voix de Buddy Holly « I’m gonna tell you how it’s gonna be »…). On le sait, ce qui donne le la au film, c’est le moteur de Christine. Elle est « Bad to the bone », cette voiture, dont Arnie a eu l’occasion de voir la carcasse regonflée, dans une scène de « strip-tease » mécanique absolument hallucinante.

Arnie est perdu, et Christine n’a été qu’un support à l’exacerbation de sa violence. Encore aujourd’hui, le regard halluciné de Keith Gordon au volant de la voiture (pris dans la lumière bleutée du directeur de la photographie Donald M. Morgan, qui collaborera de nouveau avec Carpenter sur Dark Star), fait froid dans le dos. Le plus triste est que sa mort ne met pas fin à l’horreur, qui se caractérise justement par le fait qu’on n’en sort jamais. À l’image de l’invincible Michael Myers, Christine gronde encore, et n’attend plus qu’à enflammer les nuits d’une autre victime…


De retour en salle le 27 octobre 2021


Test blu-ray

Le film est aujourd’hui réédité par Carlotta Films dans une splendide édition collector comprenant, outre le Blu-ray et le DVD, une nouvelle restauration 4K/HDR10/Dolby Atmos. Autant dire que Christine a eu droit à une toute nouvelle carrosserie, dont le rouge se veut encore plus brillant (et sanglant). 

L’édition est également généreuse en bonus : commentaires audio de Carpenter (légèrement plus bavard que sur d’autres commentaires) et de l’interprète principal Keith Gordon, un making-of de 48 minutes, vingt scènes coupées, les bandes-annonces de l’époque, et enfin l’entretien réalisé avec Carpenter à Cannes à l’occasion de la remise du Carrosse d’Or 2019 (dirigé par ls cinéastes de SRF Katell Quillévéré et Yann Gonzalez). Enfin, Carlotta Films garnit le tout d’un passionnant livret de 200 pages, adapté de l’ouvrage de Lee Gambin Hell Hath No Fury Like Her : The Making of Christine. Foncez !




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