featured_cesar-et-rosalie

CESAR ET ROSALIE

L’histoire d’un trio amoureux et d’une amitié naissante. César aime Rosalie. César est à l’aise en société, plein d’entrain et dirige une société de ferrailleurs. Rosalie, restée très proche de sa famille, partage sa vie avec César. Et il y a aussi David, un artiste qui fut autrefois l’amant si cher au cœur de Rosalie. Les deux hommes, qui se disputent la même femme, finissent par devenir amis…

L’AMOUR C’EST MIEUX À TROIS

Sixième long-métrage de Claude Sautet, César et Rosalie apparaît comme le pendant thématique de ses Choses de la vie [1970], qui voyait Michel Piccoli tergiverser entre une existence paisible aux côtés de son épouse, interprétée par Léa Massari, et son histoire tumultueuse avec Romy Schneider (déjà elle). Sautet inaugurait ainsi son cycle d’études des mœurs contemporaines qui fera sa renommée à la fois critique et publique, lui qui n’avait auparavant réalisé que des films policiers, pour des résultats en demi-teinte.

Dans César et Rosalie, c’est le personnage féminin qui se trouve indécis face aux passions de deux hommes bien différents, qui la chérissent, chacun à sa façon. Si le ton y est plus enlevé que dans Les Choses de la vie, se permettant par moments des élans de fantaisie et de causticité tout à fait réjouissants, ce nouveau portrait intimiste n’en est pas moins bouleversant par l’étonnante universalité qu’il s’en dégage.

Monde d’incertitudes

César et Rosalie est un couple de la petite bourgeoisie à qui tout semble réussir : lui est un homme du peuple, un beau parleur toujours en quête d’attention, jamais sans son cigare, qui par le travail a gravi l’échelle sociale ; elle est une compagne dont on ne voit que la beauté éclatante et l’épanouissement apparent. Lorsque réapparaît David, son ancien amour revenu de New York après cinq années passées outre-Atlantique, c’est tout un monde de certitudes qui se met alors à vaciller pour nos trois protagonistes. Rosalie se rappelle immédiatement à son bon souvenir, laissant César désarçonné par cet artiste on ne peut plus éloigné de lui : discret, taciturne et subtilement ironique.

Si l’idée du triangle amoureux pourrait se rapprocher de celui, non moins illustre, de Jules et Jim [François Truffaut, 1962], la poursuite du personnage féminin, objet de toutes les convoitises, devient dans l’œuvre de Sautet un révélateur remarquable et inébranlable de l’ardeur des deux prétendants. À l’instar de leurs nombreuses parties de poker, ils n’auront de cesse de jouer cartes sur table malgré l’adversité qui les caractérise, en avouant volontiers à l’autre ses propres failles, ses propres convictions : lors de leur première rencontre, il faut à peine quelques phrases convenues pour que David se résolve à avouer ses sentiments (« Je vais vous dire la vérité César, j’aime Rosalie […] depuis toujours »). «C’est très bien de me l’avoir dit » lui répond sincèrement l’autre, non sans jeter un regard dans le vide.

Dès lors, leur schéma relationnel n’aura de cesse de réitérer ce modèle de franchise, qui permet à chacun de tirer le meilleur de lui-même. Yves Montand et Sami Frey incarnent magistralement ces deux persona en quête de leur grand amour, le premier brillant par sa générosité empreinte de nervosité, tandis que le second se fait plus calme et modéré. Les deux, aussi antagonistes qu’ils soient (tant dans leur personnalité que leur milieu social), se retrouveront pourtant dépassés par le profond besoin de liberté qu’anime Rosalie.

À l’épicentre de cette bataille qui n’en est pas vraiment une, Romy Schneider confère à son personnage une sensualité et un charme naturel qui troublent les cœurs amoureux autant que les spectateurs conquis. Elle est une héroïne bovarienne qui, non contente de monopoliser les regards, alterne les courtisans en prenant soin de leur signifier leurs défauts et qualités : elle fuit une première fois son couple avec César lorsque celui-ci la délaisse au profit de ses parties de poker, avant de revenir quand il renoue avec une certaine prévenance à son égard. Comme modèle antithétique, David s’impose par sa douceur et son contrôle à toute épreuve, quitte parfois à se mettre en retrait ; ce qui lui voudra cette lettre magnifique de Rosalie se concluant sur « Ce n’est pas ton indifférence qui me tourmente, c’est le nom que je lui donne : la rancune, l’oubli […] Tu seras toujours David, qui m’emmène sans m’emporter, qui me tient sans me prendre et qui m’aime sans me vouloir ».

Tous deux aiment Rosalie de manière diamétralement opposée et Rosalie les aiment d’une façon propre à chacun : on la retrouve ainsi à la fois amusée par les fanfaronnades de César et rassurée par les regards tendres de David. On l’imagine rêver secrètement que ces deux hommes n’en soient qu’un.

César et Rosalie

SAUTET À LA CORDE

César et Rosalie est à l’image de ce personnage féminin qu’il admire tant : à la fois trouble et épanoui, insouciant et mélancolique, libre et secret. Rarement on aura vu aussi beau et saisissant portrait de femme, désirée et même vénérée par deux hommes prêts à tout pour emporter son affection, jusqu’à devenir amis. Les deux incarnent deux visions de l’amour, deux astres célestes gravitant autour d’une même planète sans jamais parvenir à changer sa course. Claude Sautet réjouit dans sa représentation de la profonde vitalité qui habite ses personnages, jamais résignés pour un sou. Son éclairage de pleine face expose des êtres flamboyants et les scènes dans les lieux de vie (cafés, restaurants) sont autant de prétextes à représenter leur franche camaraderie qui ne se démentira pas.

Sautet a souvent été présenté comme l’observateur aiguisé de la société française – et notamment de sa nouvelle bourgeoisie – au cours des années 1970 ; ce serait nier la part d’intemporalité qui réside dans son approche de la complexité des sentiments amoureux. Chacun de ses longs-métrages, mineurs comme majeurs, trouve sa place dans une conception plus vaste de la nature humaine, qui s’apparenterait au projet balzacien développé dans La Comédie Humaine. À ce titre, le film tient davantage de la fable que de l’œuvre naturaliste teintée d’ici et là de romantisme : il est une passionnante étude de caractères sur des individus dépassés par leurs pulsions qui apprennent à se construire au contact de leur adversaire et compère d’infortune.

L’épithète « drame gai », souvent accolée à César et Rosalie, traduit bien les paradoxes d’un film portant sur ce triangle amoureux parfaitement réparti sur ses trois sommets et qui pourtant fluctue, un film à la recherche permanente de l’imprévisible pour espérer atteindre l’immuable. Pour cette raison et pour d’autres, le dernier plan est probablement l’une des plus beaux épilogues dont le cinéma français ait accouché : l’amitié fraternelle y est célébrée au même titre que les amours passés, dans une harmonie à la simplicité désarmante.


DÉCOUVREZ CHAQUE DIMANCHE UN CLASSIQUE DU CINÉMA DANS JOUR DE CULTE



%d blogueurs aiment cette page :