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CARRIE AU BAL DU DIABLE

Tourmentée par une mère névrosée et tyrannique, la vie n’est pas rose pour Carrie. D’autant plus qu’elle est la tête de turc des filles du collège. Elle ne fait que subir et ne peut rendre les coups, jusqu’à ce qu’elle ne se découvre un étrange pouvoir surnaturel.

La terreur naît de la compassion

La caméra plane au dessus d’un terrain de volley-ball, où s’agglutine un groupe d’adolescentes, dans un brouhaha incompréhensible. À mesure qu’elle approche, elle enferme progressivement une jeune fille, aux traits innocents et à la blondeur virginale. Sa maladresse la condamne dès lors : véritable souffre douleur, Carrie White reste figée sur le terrain, sous les insultes de ses camarades. Dès ses premiers instants, Brian De Palma porte une tendre compassion à son “monstre”. C’est là même toute la force de Carrie au bal du Diable

Première adaptation d’un roman de Stephen King à l’écran, Brian De Palma inverse les schémas classique du genre horrifique et transforme son “monstre” en victime, au sens étymologique : Carrie, véritable souffre-douleur de son école, est celle que l’on pointe du doigt pour sa différence, tant sociale que fantastique. Créant ainsi dans le même temps l’une des icônes féminines et féministes du cinéma d’horreur.

Le péché originel

L’un des plus anciens monstre de l’histoire de l’humanité s’incarne dans la Genèse, sous les traits d’une femme. Succombant au serpent dans le Jardin d’Eden, Eve est accusée de faire basculer l’Humanité dans la douleur et la mort. Au-delà de toutes considérations religieuses, force est de constater que la Bible entraînera tout un imaginaire féminin : succubes ou sorcières, la femme devient l’objet de récits horrifiques dans laquelle son corps et sa féminité sont associés au Diable.

Dès son ouverture, Carrie au bal du Diable évoque le traumatisme d’être femme. À travers un plan séquence, la caméra s’immisce dans l’intimité d’un vestiaire. La musique envoûtante participe à créer une atmosphère étrange. Les corps féminins sont nus, enveloppés dans une brume quasi-surnaturelle. La scène prend des allures de forêt interdite, vaporeuse, où se cache la sorcière. Isolée au loin, la caméra se pose sur Carrie et descend avec sensualité le long de ses cuisses, contrastant avec la douceur de la musique. Inconsciente de sa féminité naissante, la caméra sexualise son corps. Le male gaze prend ici tout son sens : devenue “femme”, son corps devient érotique et désirable. 

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Le sang qui s’écoule entre ses cuisses devient alors symbole de mort, brisant au passage le tabou absolu des règles à l’écran. L’appel à l’aide en est glaçant : prisonnière de son propre corps, qu’elle ne comprend plus, Carrie doit faire face à la cruauté de ses camarades. Les règles ne deviennent pourtant pas un motif horrifique, puisqu’elle reflète le traumatisme de devenir femme. C’est la honte qui en découle, abreuvée par les moqueries de ses camarades et la colère de sa mère. Coupable du meurtre de sa propre innocence aux yeux des autres, Carrie se fait lapider par des tampons pour être née femme. Le corps féminin devient un objet de honte puni par la mère fanatique religieuse, qui y voit une porte d’entrée vers le Mal : la sexualité. 

L’empathie au service de l’horreur

En épousant le regard de Carrie, Brian De Palma fait basculer la peur où on ne l’attend pas. La religion devient alors diabolique et terrifiante. Carrie est d’abord victime de sa mère, véritable bourreau, traumatisée d’avoir donné naissance à une fille. Enfermée dans un cagibi, forcée à prier pour expier le péché de sa puberté, menacée de mort pour avoir voulu être libre, Carrie doit se soumettre aux préceptes religieux et au “Bien” voulu par sa mère. L’empathie ressentie pour Carrie n’en est que plus importante : face à la haine du monde, sa vengeance devient légitime. 

Brian De Palma l’a bien compris : la terreur naît de la compassion. Insultée, bafouée et méprisée par un monde exclusivement féminin, dans lequel elle ne trouve pas sa place, on ressent un attachement immédiat pour Carrie. Sous ses traits juvéniles, Sissy Spacek incarne à merveille une adolescente à la timidité maladive, perdue dans une société qui ne veut pas d’elle. Dès lors qu’elle est invitée par le plus beau garçon de toute l’école au bal de promo de fin d’année, le rêve devient réalité. Marchant dans sa robe de satin blanc, fièrement accrochée au bras de son amant d’un soir, Carrie rayonne d’une naïveté enchanteresse. Les yeux humides, la foule applaudit leur nouvelle reine de beauté.  La scène prend une tournure profondément touchante, avec l’espoir impossible d’un happy-end. 

Une émancipation par le Mal 

Impossible, car la musique se teinte de notes plus sombres à mesure que la jeune fille avance. La caméra laisse apparaître les coulisses d’une blague macabre : au-dessus d’elle tangue dangereusement un seau rempli de sang. La scène alterne entre la féerie de l’instant et la menace imminente de la tragédie. La corde tremble, il est déjà trop tard. Dans un silence assourdissant, Carrie est tâchée d’un sang impur, parallèle morbide du sang des règles qui l’avait maudite. On lit l’horreur, l’incompréhension et les moqueries sur les visages, sans un bruit. Jusqu’à l’explosion. Les yeux écarquillés, d’un calme effrayant, Carrie reprend possession de son corps pour se venger. La scène se teinte d’un rouge flamboyant. 

Le split-screen décuple la terreur, opposant la détresse et la souffrance au regard magnétique de Carrie. Sortant des flammes de l’enfer, Carrie devenue sorcière est maîtresse absolue de son corps. S’affranchissant du regard des autres et de la folie de sa mère, son émancipation passe par le Mal. 

L’histoire de Carrie aura beau faire l’objet de remakes en tous genre, aucun ne parvient à égaler la terreur provoquée par le film de De Palma. La scène du bal de l’horrible remake Carrie, la vengeance fait exploser les effets numériques, étirant les mises à mort à outrance, oubliant ainsi d’où vient la véritable terreur mêlée à une certaine tristesse. L’histoire de Carrie est avant tout le récit d’une innocence brisée par la cruauté du monde, la faisant basculer dans la monstruosité. Et personne ne pourra égaler les grands yeux écarquillés de Sissy Spacek, qui continue de hanter 40 ans plus tard, marquant profondément le cinéma d’horreur contemporain.


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Carrie au bal du diable ressort en salle ce 18 septembre chez Splendor films




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