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CANNIBAL HOLOCAUST

Une équipe de journalistes composée de trois hommes et une femme se rend dans la jungle amazonienne à la recherche de vrais cannibales. Bientôt, la troupe ne donne plus aucun signe de vie. Le gouvernement américain décide alors d’envoyer une équipe de secours sur place. Celle-ci retrouve, grâce à une tribu amazonienne, les cassettes vidéos de la première équipe, qui renferme le terrible secret de leur disparition.

Critique du film

“Scandaleux”, “écœurant” et “abject”. Cannibal Holocaust traîne depuis près de quarante ans une réputation sulfureuse, suscitant l’indignation et le rejet face à l’objet le plus controversé du cinéma. Interdit dans plusieurs pays au moment de sa sortie, suivi d’un véritable scandale sur la mort supposée des acteur.ice.s à l’écran, le second film de Ruggero Deodato porte en lui une odeur d’interdit. Comme un film que l’on se passerait sous le manteau, dont le nom seul provoque une fascination étrange mêlé à un dégoût quasi-instantané. Cannibal Holocaust incarne l’étape ultime de la vie du cinéphile ayant résisté à la violence inouïe des images, narguant volontiers le reste du monde d’avoir survécu à un film “pas si terrible”. 

Pourtant, Cannibal Holocaust ne faillit pas à sa réputation. Sans doute car Deodato n’envisage pas de catharsis à travers son film. Loin d’être le film d’horreur bis écervelé que l’on voudrait croire, le film contient en lui une charge politique inattendue. Peut-être parce que l’on a longtemps réduit le film à une grossière effusion de sang et de tripes. Cannibal Holocaust choque parce qu’il assume pleinement son projet, jusqu’à l’extrême. 

The green inferno

Cannibal Holocaust restera comme l’un des précurseurs du found-footage moderne. Bien inspiré du mondo, apparu avec Mondo Cane dans les années 60, Deodato exploite le caractère réaliste et choquant du medium cinématographique. L’image est poisseuse, et multiplie les gros plans sur la jungle, la boue et le sang, enfermant ses spectateur.ice.s dans un exotisme étouffant. La seconde partie du film, dans laquelle on visionne les bobines des reporters disparus, brouille la frontière entre réalité et fiction, et glisse vers l’insoutenable. Si l’effet réaliste de la caméra à l’épaule n’est plus à prouver, celui-ci contribue à l’aspect voyeuriste du film. Deodato va au-delà de cette limite, et expose brutalement la mort d’animaux à l’écran. Ainsi, lorsqu’une tortue est démembrée vivante pendant de longues minutes, la violence est telle qu’elle en devient sidérante.

La catharsis est impossible : on ne tire pas de ces images un plaisir similaire à n’importe quel film d’horreur. La cruauté à l’écran est insoutenable parce qu’elle est réelle. S’en suit alors une accumulation de violence devant laquelle on peut difficilement rester insensible. Viols collectifs, génocide et décapitation sont montrés avec une froideur terrifiante, couplés aux rires gras des bourreaux. La caméra emprisonne ses spectateur.ice.s dans une position de voyeur, mêlant à la fois fascination et impuissance devant ce qui se joue à l’écran

Pourtant, la violence de Cannibal Holocaust n’a rien de complaisante. Si celle-ci est exacerbée à l’extrême, et explose dans ses dix dernières minutes à la limite du soutenable, la cruauté est toujours pointée du doigt. Et c’est sans doute tout le paradoxe du film : dénoncer le sensationnalisme alors même que le film embrasse pleinement cet aspect. Lorsqu’une femme Yacumo est violée pour adultère puis tuée, l’ethnologue Monroe et son guide Miguel observe au loin la scène, que Miguel qualifie de “spectacle” . On adopte pourtant le point de vue de Monroe, malade de la violence qui se produit devant lui : l’accumulation de gros plans ainsi que les notes tragiques de la musique de Riz Ortolani rendent la scène étourdissante par sa brutalité. Monroe incarne le seul pilier moral, refusant de se soumettre à la violence, qu’elle provienne aussi bien des indiens Yacumo, des reporters et des producteurs de la chaîne. 

“ I wonder who the real cannibals are” 

De retour à New-York, Monroe est contacté par la chaîne PABC qui souhaite profiter des images afin d’en faire des projections publiques. Les images qu’ils découvrent, enfermés dans la petite salle de cinéma, sont horrifiantes. Toujours à la recherche de l’extrême, les reporters n’hésitent pas à fabriquer l’image choc de toutes pièces, prêt à filmer leur propre mort pour la célébrité. Ils manipulent le réel, la mettant en scène dans une pornographie macabre.

Alors que l’Italie des années 80 est envahie chaque soir par les images de cadavres de la guerre sur ses écrans, Deodato dénonce le manque d’éthique des journalistes et des médias. Un propos qui 40 ans plus tard n’a jamais autant été d’actualité. L’arrivée d’internet a permis une explosion incontrôlable des snuff movies, où l’on assiste à la mise à mort de personne réelle, cultivant ainsi un spectacle de la mort. Ainsi, on ne s’étonne qu’à moitié lorsque le youtubeur Logan Paul s’esclaffe devant un corps pendu à Aokigahara, “la forêt des suicides” au Japon, dans une vidéo devenue virale. La mort est un divertissement qui fait vendre, surtout dans une course effrénée à la célébrité. 

Cannibal Holocaust est avant tout le récit d’une violence cyclique. Les deux parties du films se répondent en miroir : la violence cannibale des indiens résulte de la barbarie des reporters blancs à leur encontre. Le choix de la nationalité des journalistes n’a rien d’anodin. Les américains rejouent avec sadisme le massacre des indiens, enfermés dans une boucle qui se répète à l’infini. Le cinéma américain s’est construit sur la confrontation du “civilisé” et du “sauvage”, prenant plaisir à mettre en scène le génocide amérindien à l’écran. Cannibal Holocaust adopte le point de vue aborigène, faisant l’expérience du colonialisme. Le schéma est inversé, le blanc devient le sauvage sanguinaire, qui viole, tue et brûle avec un sourire non dissimulé, piétinant joyeusement une culture qui ne lui appartient pas. Sans tomber dans le mythe du bon sauvage, Deodato dresse le portrait nihiliste d’une humanité cruelle, embourbée dans son auto-destruction. 

Lorsque la caméra s’éteint enfin, après un climax véritablement éprouvant, le silence est pesant. La productrice quitte la salle, comme les spectateur.ice.s quittent la fiction, hantés par des images d’une atrocité indélébile. Alors on décide de brûler les images pour oublier, pour ne plus voir. Comme on censure le film dans plusieurs pays, pour détourner le regard. Cannibal Holocaust est le miroir tendu d’une humanité paradoxale qui fuit toujours sa propre image. Et c’est sans doute en cela qu’il est d’une violence inédite.


Disponible sur Shadowz et FilmoTV


Chaque jour, dans les Séances Buissonnières, un membre de l’équipe vous recommande un film (ou une série) disponible actuellement en streaming légal.




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