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BLACK CHRISTMAS

Des jeunes femmes faisant parties d’une confrérie universitaire passent les vacances de Noël ensemble. Le groupe reçoit d’étranges appels téléphoniques, les jeunes femmes, qui semblent au départ s’en amuser, ne se doutent pas une seconde que les appels sont passés de l’intérieur de la maison…

Critique du film

Dans le monde du slasher, il y a trois règles immuables, gravées dans le marbre par Wes Craven dans Scream en 1996. Ne pas boire et ne pas consommer d’alcool, ne jamais dire “Je reviens tout de suite” et surtout, ne jamais avoir de relations sexuelles. L’explosion du genre au début des années 80, mettant toujours en scène des meurtres avilissant d’adolescent.e.s débauché.e.s dans des franchises à rallonge, provoque scandales et indignations : profondément misogyne, métaphore d’une morale puritaine punitive ou encore violence gratuite, le slasher est réduit au rang d’un divertissement bête, mais surtout méchant. 

Pourtant, quatre ans avant le Halloween de Carpenter qui fera office d’œuvre matricielle pour le genre, existe un film précurseur du slasher, qui en préfigure tous les codes tout en les transgressant avec une étonnante modernité. Bien loin de la misogynie attribuée à un cinéma qui se délecterait à assassiner des jeunes filles, Black Christmas de Bob Clark insuffle à la noirceur de son récit un propos résolument progressiste. 

Une expérience féminine de la terreur 

Un soir de Noël, dans une confrérie universitaire exclusivement féminine, le téléphone sonne. La chaleur réconfortante des chants de Noël laisse place à une voix sinistre au bout du fil, qui menace de viol et de mort toutes les filles atterrées autour du téléphone. L’obscénité des coups de fil répétés par un croque-mitaine caché sous le toit devient un leitmotiv terrifiant tout au long du film. La violence n’est pas spectrale, comme peut l’être celle d’un Michael Myers quasi-fantomatique, mais bien ancrée dans le réel, ce qui en fait sans doute toute la force horrifique. 

Pourtant, la première victime du tueur n’a enfreint aucune règle, et apparaît comme parfaitement innocente. On devine, derrière la perversité du tueur, une véritable frustration sexuelle qui le pousse à tuer. Bob Clark distille tout au long de son film un profond malaise, martelé par les coups de fils incessants et dégoûtants. Le boogeyman lui n’apparaît jamais frontalement. Tel un œil à travers la serrure d’une porte, il n’apparaît qu’au détour de métonymie, fragmentant ainsi son corps comme une entité presque globale. La menace du film prend alors une dimension plus large, et symbolise la violence patriarcale qui plane sur les femmes. Ainsi, si la dimension phallique de l’arme blanche n’est plus à démontrée, elle incarne ici cette volonté de posséder par la mort des corps féminins inatteignables. 

Cette violence sexiste ne s’incarne pas uniquement à travers la figure du boogeyman mais contamine la société toute entière, en proie à la violence. Jess, l’héroïne principale ne respecte pourtant pas la règle tangible de la virginité. Bien au contraire, elle apprend à son petit-ami qu’elle est enceinte et qu’elle désire avorter. Jamais culpabilisant sur la question de l’avortement, le film transforme au contraire son petit-ami en un double menaçant du boogeyman, animé lui aussi par la volonté de contrôler un corps qui ne lui appartient pas. Au cœur de la seconde vague féministe et de la révolution sexuelle qui s’opère au sein de la société, Black Christmas brille d’une flamme résolument politique et profondément moderne. Pour autant, son regard est désespéré, puisqu’il enferme sa final girl dans une boucle de violence qui ne trouve jamais de résolution. 

Il est né le divin slasher

Au-delà de la modernité de son propos, c’est surtout dans son approche du slasher que Black Christmas se démarque des productions du genre. Alors que l’on considère Halloween comme le précurseur, érigeant Jamie Lee Curtis au rang d’icône de la pop culture, le film de Bob Clark en emprunte les effets de mises en scène quatre ans plus tôt. Ainsi, Black Christmas s’ouvre lui aussi sur un plan-séquence à la première personne, et place le spectateur dans une position de voyeur, qui prend possession du regard du tueur. Le spectateur devient alors un témoin muet, si ce n’est complice malgré lui, et connaît d’avance la tragédie à venir sans pouvoir l’arrêter. Le motif du téléphone inspirera lui-aussi Scream, que Wes Craven décline de manière ludique. 

Black Christmas transforme la joie de Noël en un cauchemar désespéré, jouant sur la dualité entre l’innocence de la fête et l’obscénité dérangeante du tueur. Les scènes horrifiques sont teintées d’une étrange mélancolie, comme si la violence franchissait un pas supplémentaire et venait dévorer les derniers instants de naïveté. Par sa mise en scène baroque, dont la fétichisation de la violence n’est pas sans rappeler l’élégance du giallo, Black Christmas se pare d’une poésie macabre, dont le motif de la célébration sera repris plus tard par Deadly Night, Silent Night une décennie plus tard. 

Si Black Christmas ne connaît pas l’aura des mastodontes du slasher, tel qu’Halloween, Massacre à la tronçonneuse ou encore Vendredi 13, le film de Bob Clark s’inscrit pourtant comme l’un des précurseurs du genre, et en initiera certains codes. A l’instar du scandale que provoque ce cinéma d’horreur, Bob Clark démontre toute la complexité du slasher dans un long-métrage d’une poésie noire au propos progressiste délibérément assumé.


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