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BILLIE HOLIDAY, UNE AFFAIRE D’ÉTAT

Focus sur le début des années 1940 quand Billie Holiday, la chanteuse aux multiples addictions, était alors la cible du Département fédéral des stupéfiants dans le cadre d’une opération d’infiltration dirigée par l’agent fédéral noir Jimmy Fletcher, avec laquelle elle a eu une liaison tumultueuse.

CRITIQUE DU FILM

« Toute entière, pourquoi ne pas me prendre toute entière ? » Ainsi interrogeait « Lady Day » elle-même dans l’un de ses plus grands titres, et l’on pourrait se demander pourquoi Lee Daniels a choisi de ne filmer qu’une infime partie de la vie de la grande chanteuse. En effet, comme Judy et Rocketman avant lui, et relayant définitivement au rang du (trop grand) classicisme des films comme Bohemian Rhapsody, Billie Holiday, une affaire d’état propose au spectateur d’avantage une tranche de vie plutôt qu’un énième biopic.

Parti pris qui fait sens à plus d’un titre, pour le réalisateur de Precious et du Majordome, l’histoire à raconter semble s’être imposée d’elle-même. Alors que les voix du mouvement « Black Lives Matter » n’ont eu cesse de porter outre-Atlantique, il y a plus de soixante-dix ans, celle de la grande Billie avait déjà trouvé la résonance à la hauteur de son talent lorsqu’elle décide de porter en musique le poème « Strange Fruit » – attaquant frontalement les lynchages que subissent les Afro-Américains qui atteignent alors un pic dans le sud des Etats-Unis.

Surnommée dès lors « la marraine du mouvement des droits civiques », elle sera sans cesse traquée par des agents du gouvernement qui, sous le prétexte de poursuites pour usage et abus de stupéfiants, chercheront par tout moyen à la faire tomber et surtout, la museler. Peine perdue. Jamais Billie Holiday ne se laissera interdire quoi que ce soit –  peu importe les « fruits » incriminés.

FRUIT MÛR

Que l’on soit ou non un inconditionnel de la « dame en satin », et bien que dès les premières minutes du film, il soit question des polémiques autour de « Strange Fruit », c’est avant tout l’atmosphère générale qui entoure la chanteuse que le réalisateur dépeint. De son cercle très privé à sa relation quasi fusionnelle avec son public, en passant par ses relations amoureuses et sa lutte contre ses addictions, c’est à une femme d’un charisme rare à laquelle on rend hommage – de même qu’à cette voix si particulière au timbre trainant, créant un sens du rythme inégalable en jouant, notamment, avec les retards.

Pour offrir, non pas une imitation, mais une interprétation – tant du personnage que de la tessiture vocale – le choix de l’artiste Andra Day est absolument impeccable. Proposant une revisite moderne et accessible du répertoire de Holiday, la prestation de la chanteuse – dont c’est le premier rôle au cinéma – est tout aussi nuancée lorsqu’elle n’est pas sur scène.

Montrée dans ses moments de joie comme dans ses plus grandes souffrances, on s’attache à cette personnalité aux dehors volcaniques couvant un animal blessé. Et lorsque claironne l’ode doucereux à ces corps se balançant dans les arbres aux feuilles tâchées de sang, on lit dans les yeux de Day tout le défi ouvertement lancé aux autorités, et on entend dans la voix de Billie toute la puissance, bien que de plus en plus altérée par la fatigue et les substances, du message courageusement délivré.

Billie Holiday

FRUIT DEFENDU

Lee Daniels signe un portrait sans concessions d’une artiste au firmament rattrapée par ses démons et dénonce à foisons. La linéarité du film en pâti parfois, perdant le spectateur dans un recours aux flashbacks frisant l’excès. On ne sait du reste pas toujours ce qui relève du fait historique ou de la fiction, tant certains plans sont stylisés – versant jusque dans la pure « prouesse » technique du plan séquence qui ne raconte rien que la performance de l’actrice principale ne saurait déjà transmettre.

Pour autant, les thèmes du film sont clairement posés et c’est, dès lors, moins une histoire qu’un discours que l’on suit : celui d’une femme, persécutée et non poursuivie, et ce parce qu’elle a l’outrecuidance d’être « forte, belle et noire » – pour reprendre une ligne de dialogue qui résumerait à elle seule tout le film. Dans le rôle de l’agent fédéral Harry Ansliger, obsédé par la chanson polémique mais plus encore par son interprète et ce qu’elle représente, Garrett Hedlund remplit à merveille le rôle de l’antagoniste. On saluera également la prestation de Trevante Rhodes, qui prête ses traits à Jimmy Fletcher – agent fédéral noir chargé d’infiltrer le cercle de Holiday pour permettre sa prise en flagrant délit de consommation de drogue, et qui finira par en tomber amoureux et se retourner contre sa hiérarchie.

FRUIT DE SAISON

D’aucuns pourraient crier à l’overdose des biopics musicaux qui, depuis quelques années, semblent toujours foisonner quand se profile la saison des cérémonies de remises de prix. Porté par la très belle performance d’Andra Day, qui incarne à la fois l’artiste engagée et la femme indépendante, le film lui a permis d’être récompensée du Golden Globe et ne ferait pas d’elle une lauréate déméritante pour l’Oscar de la Meilleure Actrice. Mais il serait par trop malhonnête de réduire le film de Lee Daniels à une simple course à la précieuse statuette.

Sacrée « chanson du siècle » par le Time magazine en 1999, « Strange Fruit » a marqué son temps, et continue de résonner. Billie Holiday, une affaire d’état le remet en lumière, et permettra sans doute la découverte de son interprète qui, aux côtés d’Ella Fitzgerald et Nina Simone, reste à jamais l’une des grandes représentantes du jazz vocal.

Bande-annonce

2 juin 2021De Lee Daniels, avec Andra DayTrevante RhodesGarrett Hedlund




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