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BELLES À MOURIR

Mount Rose, Minnesota. L’élection de la nouvelle Miss de la ville occupe les esprits de tous les habitants. Gladys Leeman, fille de l’organisatrice de l’élection, est donnée favorite face à Amber Atkins, danseuse de claquettes rêvant d’une carrière à la télévision. Une équipe de tournage va suivre leurs périples respectifs durant les mois de préparation d’une compétition qui s’annonce acharnée…

LA PAIX DANS CE MONDE

Belles à mourir (Drop Dead Gorgeous dans sa version originale) a vu sa cote de popularité grimper au fil des années. Les raisons sont multiples : le film est déjà très drôle, il est habile dans sa construction filmique, et le casting fait de nouvelles stars et d’anciennes gloires de la comédie (Will Sasso, Mindy Sterling) s’en donnent à coeur joie. Mais autre chose intrigue au fil des visionnages : au-delà de ses tonalités absurdes, le réalisateur Michael Patrick Jann libère quelques relents de lutte des classes dépeints par le prisme de la comédie désespérée. Il est aussi aidé par un casting féminin exceptionnel, composé de comédiennes en vogue ou dont l’explosion de carrière est imminente.

Sans revenir sur la production tumultueuse qu’a connu le film – je vous renvoie vers le super article de Geoffrey Crété sur le site de Ecran Large – revenons quelque peu sur le choix des actrices et la place qu’elles occupent les unes par rapport aux autres dans le long-métrage. Il parait presque évident que le rôle attribué à chacune rappelle ouvertement qui elles étaient au moment du tournage. La jeune star couvée et détestable (Denise Richards) est rejointe dangereusement par une jeune première qui éclabousse déjà de son talent les projets de grands réalisateurs (Kirsten Dunst). Autour d’elles, de jeunes femmes aussi hilarantes qu’insolites concourent également au titre de Miss Mount Rose – anagramme évident de Rosemount, dans le Minnesota, d’où vient la scénariste Lona Williams. Elles s’appellent entre autres Brittany Murphy ou Amy Adams, à l’époque seconds couteaux, moins connues (malgré une personnalité déjà affichée pour Brittany Murphy dans Clueless) et à l’avenir prometteur.

Par le prisme du faux documentaire et avec notre regard actuel, Belles à mourir peut interroger le combat de jeunes actrices pour accéder à la reconnaissance suprême, au-delà même des personnages de la diégèse concourant pour espérer devenir la future Miss America. On le sait : devenir acteur est un métier difficile, mais les actrices ont tendance à disparaitre plus rapidement des radars que leurs homologues masculins. Le concours des miss, et tout ce qui gravite autour de lui dans le long-métrage, renferme lui-même des mécanismes que l’on peut aisément mettre en parallèle avec l’environnement du 7e Art. Par sa structure même (des jeunes femmes enrôlées par des personnes plus âgées), ses à-côtés sordides (l’ex-Miss anorexique, une gâterie à Adam West en guise de remerciement) et les paillettes qu’elle promet, l’élection de miss Mount Rose renvoie à une multitude de souvenirs et de scandales qui ont existé lors de concours comme celui-ci et, bien sûr, lors de tournages de films.

LA GUERRE ICI-BAS

Toute la mise en scène orchestre d’ailleurs régulièrement le sentiment de jalousie qui naît entre les personnages : sans cesse mouvant, l’arrière-plan de chaque cadre inclut sans cesse une posture, un geste, un regard qui vient court-circuiter les paroles des personnages interrogés par le journaliste et son cadreur. Cela peut prêter à des gags caustiques, mais aussi organiser des lignes de fuites qui viennent annoncer les tensions entre les protagonistes. La présentation des différentes candidates au début du film en est d’ailleurs un parfait exemple : Denise Richards est régulièrement présente dans le fond et semble vouloir braquer la caméra sur elle. Quand il s’agit de son tour pour se présenter, c’est Kirsten Dunst qui se retrouve en arrière-plan, mais plus discrète et paraissant plus timide.

Toutefois, ces tensions ont socialement une raison d’exister qui dépasse le concours. Denise Richards (Gladys) interprète une fille pourrie gâtée dont la mère est une ex-Miss de leur ville. C’est cette dernière qui est d’ailleurs l’animatrice du concours, et essaie tant bien que mal de faire gagner sa progéniture. Son père, quant à lui, est marchand de meubles dans la ville, arnaque fièrement ses clients et participe au choix des jurés de la compétition. Cette famille bien lotie est en opposition totale au personnage joué par Kirsten Dunst (Amber), obligée de travailler à la morgue de Mount Rose pour financer ses rêves de journalisme. Sa mère, quant à elle, vit dans une caravane au bord de la ville. Les ruptures de montage entre ces deux microcosmes économiques et sociaux amplifient ce sentiment de lutte des classes traitée en filigrane du récit.

Cela lui permet d’en exprimer aussi le paradoxe du rêve américain sans en y définir au préalable de juste milieu : d’un côté le puritanisme de l’Oncle Sam de jeunes filles propres sur elles, de l’autre une Amérique sale, appauvrie, vulgaire et heureuse de vivre dans son débarras. Mais, à la manière du conte, la jeune demoiselle issue du bas de l’échelle (Dunst donc) tente de gravir les échelons et avoir la vie qu’elle a toujours imaginé. Cependant, le film ne l’épargne pas par ce qu’il montre : sa naïveté et sa bien-pensance ne sont récompensées que par des coups de chance morbides dont elle bénéficie durant tout le film. Ainsi, la méritocratie n’existe même plus, les « rednecks » n’accèdent qu’au rang social supérieur que lorsque le sort est dans son camp, et non pas à la sueur de leur front. Loretta (Allison Janney), amie de la mère de Amber, lui dit d’ailleurs de manière virulente lors de la remise de prix de Miss Mount Rose : elle doit profiter de toutes les opportunités, même si elles ne sont pas de leur fait. Sauf que rien ne sera vraiment de son fait…

Certes, cette panoplie thématique crée un système narratif qui dessert le film tant il se devine à l’avance et devient lourd vers la fin. Mais dans tous les cas, il amplifie parfaitement le propos du film dans cette idée de figer cette communauté disparate dans ses caricatures, ses croyances hasardeuses et ses clichés, et de ne les « punir » que par des destins funestes. Ces mêmes sorts qui viennent propulser les « bons » protagonistes sur le devant de la scène, sans aucun effort consenti de leur part. C’est ce qui, aujourd’hui, donne un regain d’intérêt à ce Belles à mourir de Michael Patrick Jann.


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