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BELLE

Dans la vie réelle, Suzu est une adolescente complexée, coincée dans sa petite ville de montagne avec son père. Mais dans le monde virtuel de U, Suzu devient Belle, une icône musicale suivie par plus de 5 milliards de followers. Une double vie difficile pour la timide Suzu, qui va prendre une envolée inattendue lorsque Belle rencontre la Bête, une créature aussi fascinante qu’effrayante. S’engage alors un chassé-croisé virtuel entre Belle et la Bête, au terme duquel Suzu va découvrir qui elle est.

Critique du film

Animateur formé au studio Toei, Mamoru Hosoda avait commencé sa carrière de réalisateur par plusieurs films de commande dérivés des séries Digimon et One Piece. Bien loin de renier ces productions, il avait entrepris, une fois indépendant, de revisiter dans Summer Wars (2009) des thématiques déjà explorées dans Digimon : Our War Game (2000), à savoir le conflit entre le monde réel et un univers virtuel, ainsi que notre rapport à une technologie de plus en plus ancrée dans notre quotidien. Belle, qui raconte l’histoire d’une lycéenne mal dans sa peau accédant à une forte notoriété en ligne en chantant anonymement sous les traits de son avatar, est ainsi décrit par son réalisateur comme une actualisation des questionnements autour du numérique de ses deux précédents films. Il est assez étonnant de le voir revenir une fois encore à ce sujet pour lequel il montre, en définitive, si peu de compréhension.

Le problème est perceptible dès l’introduction : la présentation du monde virtuel de U, par une voix off publicitaire est similaire en tout point à celle du monde d’Oz de Summer Wars. Leur seule véritable différence réside dans leur approche graphique, le plus ancien revendiquant explicitement une appartenance au mouvement superflat, tandis que Belle emploie plutôt des arrière-plans uniquement composés de gratte-ciels. Autrement, les deux réseaux sont des espaces indéfinis, régis sans véritables règles à l’exception de celles données arbitrairement pour les besoins du récit. Cela soulève rapidement une question : comment Hosoda peut prétendre à un commentaire actuel sur le numérique en dépeignant un espace virtuel foncièrement identique à celui qu’il mettait en scène – avec déjà beaucoup d’approximations – en 2009 ? Internet et ses pratiques ont pourtant considérablement évolué en 10 ans, et ce qui était excusable dans Digimon au tournant des années 2000 (par rapport à la faible démocratisation d’internet à l’époque, mais aussi aux ambitions d’une série qui est en premier lieu un divertissement adressé aux enfants), l’était déjà beaucoup moins dans Summer Wars. Que faut-il penser, dès lors, d’un film contemporain qui réutilise sans honte le même calque faussé ?

Belle

Belle s’ouvre sur le discours, déjà un peu daté, selon lequel toute personne en ligne est libre d’être ce qu’elle veut. Cette conception quelque peu idéaliste est illustrée par la structure même du monde virtuel, qui prend la forme d’une place publique complètement déserte, échappant à toute contrainte, jusqu’aux lois de la gravité. U est ainsi un espace où tout le monde peut faire ce qu’il veut, mais où personne ne fait rien – sauf l’héroïne, qui chante donc sous l’apparence de son avatar, Belle. On se demande ce qui peut bien retenir les utilisateurs dans cet espace impersonnel, où aucune activité n’est là pour les attirer en premier lieu, et quel est l’intérêt de s’y incarner à travers un dispositif de réalité virtuelle complexe se substituant à la vue et à l’ouïe si c’est pour se contenter de flotter mollement dans les airs. Contrairement au monde virtuel de Ready Player One, U ne possède pas de caractéristiques ou de mystères qui lui sont propres, qui feraient de la visite de cet espace un événement spécial. U paraît de ce point de vue assez désincarné et artificiel, ce qui n’aide pas le spectateur à croire à l’importance du réseau pour les personnages du film, ni à s’impliquer dans les petites intrigues qui s’y déroulent.

Le caractère inconstant du long-métrage tient aussi à sa confusion générale entre réseau social et jeu vidéo. Bien que la présentation ouvrant le récit fait rentrer U dans la première catégorie, plusieurs péripéties ou règles de l’univers virtuel semblent contredire cette idée. Difficile par exemple de croire au danger dans la scène où Belle est traquée par un groupe de joueurs, mise en scène comme si l’héroïne était sur le point de perdre une partie, alors qu’il lui suffirait de se déconnecter pour échapper à ses assaillants. Un autre ressort du film est l’existence d’une milice composée de quelques utilisateurs qui veillent au maintient de l’ordre de U, dont l’origine et l’organisation ne sont jamais définis. Le chef de cette petite troupe possède une arme capable de « démasquer » n’importe quel avatar et de révéler publiquement l’identité de l’utilisateur, ce qui pose un problème plus large que ce que veut nous faire croire le film. On peine en effet à imaginer que les créateurs d’un réseau social comme U – qui ne sont d’ailleurs jamais mentionnés – puissent programmer un outil aussi intrusif, et le laisser à la disposition d’une poignée de joueurs qui imposent leur propre règlement.

Ces errements sont la conséquence de l’écriture totalement arbitraire de Mamoru Hosoda (également scénariste du film), qui emploie U comme un simple support servant les besoins dramatiques de l’histoire. Devenant un simple outil scénaristique, où chaque nouvelle règle sert à appuyer l’action du moment, le monde virtuel est dépossédé de toute cohérence interne et laisse apparaître des trous narratifs béants. Le personnage de Dragon, par exemple, est décrit par l’ensemble des membres du réseau comme dangereux ou instable, sans que l’on dise une seule fois au cours du film ce qu’il fait concrètement de nuisible au sein de U. Les enjeux comme les scènes sont raccordés grossièrement par le réalisateur (on repense à ce moment où l’héroïne qui court près d’un canal se connecte au réseau, pourtant censé mobiliser sa vue et son ouïe). Hosoda semble davantage préoccupé par l’envie de mettre autant d’intrigues que possibles dans son film : en oscillant entre le traumatisme de l’héroïne concernant la mort de sa mère, la reprise de La Belle et la Bête, la question de la célébrité et le sujet plus grave qui intervient en conclusion, le récit devient pataud et manque de direction claire.

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Quelques scènes surnagent toutefois, comme la longue déclaration d’amour de deux camarades de classe, construite comme un cartoon ponctué de sursauts nerveux, et le dernier concert donné par Belle, qu’elle chante à bout de voix. Ce sont ces moments plus ramassés qui s’en sortent le mieux. L’animation propose le reste du temps une certaine débauche de particules et de couleurs assez agréables à l’œil, mais qui n’expriment jamais un point de vue bien affirmé sur le monde et les personnages représentés. Le sommet formel du film est peut-être l’hommage très appuyé à la version Disney de La Belle et la Bête, allant jusqu’à reprendre les plans sur les escaliers du château et le travelling en CGI dans la salle de bal, qui laisse seulement l’impression d’avoir déjà vu mieux auparavant. La dualité entre les mondes réel et virtuel aurait mérité davantage de réflexion que cette semi romance qui finalement, n’occupe qu’une place réduite au sein du récit. En l’état, le long-métrage de Mamoru Hosoda donne l’impression de passer à côté de son sujet du point de vue formel, et de largement le fantasmer du point de vue scénaristique, ce qui devient assez gênant lorsque le réalisateur tente d’aborder une thématique plus grave, avec mille artifices et autant de maladresses.

Seul moment où le réalisateur explore frontalement les conséquences de la friction entre le domaine du virtuel et le monde réel, la conclusion du film, dégoulinante de bonnes intentions, est tout simplement bâclée. Son unique mérite est de raccrocher la question difficile de la maltraitance des enfants à un récit jusqu’ici centré sur le parcours intérieur de l’héroïne, comme un brusque rappel de la dureté du monde. Mais Mamoru Hosoda ne peut pas s’empêcher d’embrayer sur ce segment à l’aide de deux ou trois retournements de situation qui épuisent film et spectateur, avant de poursuivre sur dix minutes ahurissantes et totalement déconnectées de la réalité. On se demande comment toute une équipe de production à pu valider, dessiner et mettre en mouvement, des échanges et situations aussi lunaires : après avoir identifié précisément l’adresse de deux garçons maltraités en analysant les minuscules détails d’une vidéo, l’héroïne prend le train et traverse seule la moitié du pays (« je voulais l’accompagner mais elle préfère y aller seule » nous dit une adulte de son entourage) pour empêcher leur père de leur faire du mal. Comment ? En s’interposant entre les enfants et le parent violent jusqu’à ce que celui-ci panique et s’enfuie. Le film laisse en suspend cette conclusion alarmante, où les enfants battus retournent vivre dans leur foyer en toute sérénité, et l’héroïne regagne sa campagne, heureuse d’avoir fait une bonne action. On ne sait comment recevoir cette séquence consternante, qui arrive comme un cheveu sur la soupe et rappelle à quel point la niaiserie peut être obscène.

Même en mettant de côté cette véritable sortie de piste, la vacuité des films de Mamoru Hosoda, à peine dissimulée derrière des images chatoyantes, devient de plus en plus difficile à ignorer. Sa représentation plus qu’approximative des espaces numériques trahit le fait qu’il ne saisit pas plus le fonctionnement des canaux de discussion qu’il ne pratique le jeu vidéo. Il n’en porte à l’écran qu’une vision extérieure et lointaine, qui peine à retranscrire le réconfort et en même temps, le vertige que peuvent susciter les réseaux auprès des utilisateurs jeunes et moins jeunes. Il ne reste plus qu’à espérer qu’en 2030, pour sa prochaine « mise à jour » de son discours sur les mondes virtuels, il aura pris la peine de s’y plonger un peu.

Bande-annonce

29 décembre 2021 – De Mamoru Hosoda




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