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BARDO, FAUSSE CHRONIQUE DE QUELQUES VÉRITÉS

Un journaliste et documentariste mexicain réputé, de retour chez lui, traverse une crise existentielle. En effet, il doit affronter des questions liées à son identité, ses relations familiales, ses souvenirs délirants, mais aussi à l’histoire de son pays. Il cherche alors des réponses dans son propre passé pour assumer l’homme qu’il est devenu aujourd’hui.

Critique du film

Après 22 ans de carrière, il est toujours difficile de savoir quel réalisateur est vraiment Alejandro Gonzalez Iñárritu. Auteur oscarisé, notamment en tant que réalisateur pour The Revenant en 2016, il semble avoir été un admirable chef de projet et un collaborateur hors pair pour arriver à fructifier les films auxquels il fut associé depuis Amours chiennes en 2000. Pourtant, c’est seulement avec Bardo, fausse chronique de quelques vérités, que le réalisateur mexicain se dévoile enfin. Cet exercice semi autobiographique, dont le sous-titre dit beaucoup de la mise en abime opérée, est une somme de détails assez fascinante de tout ce qui constitue la persona d’Iñárritu. Tout d’abord c’est une histoire qui replace le Mexique au centre des enjeux, Silverio Gama, journaliste réputé, ne cessant de rappeler son attachement à son pays, même s’il l’a quitté pour venir résider aux Etats-Unis. Dans cette migration et le rappel de cet affect au pays des origines, on retrouve le parcours d’un auteur qui s’est accompli majoritairement sur le territoire voisin du géant de l’entertainment nord-américain.

Mais ce qui surprend le plus au delà du propos du film, c’est la forme déployée, très éloignée de ce que l’on avait pu observer chez Iñárritu depuis ses débuts. Bardo est comme une boucle où les idées et obsessions de Silverio tournent dans un écho permanent, à l’image de cet appartement familial circulaire où l’action suit les personnages dans des déplacements effrénés où l’on franchit les pièces comme autant d’univers différents qui convoquent chacun des souvenirs. C’est alors qu’une autre des singularités de Bardo se manifeste : chaque souvenir, idée ou concept évoqué se matérialise physiquement, dans un effet burlesque qui donne une identité surprenante au film qui se permet d’évoquer des sujets graves sur un ton presque guilleret, pour ne jamais alourdir l’ensemble. Dans cet ordre d’idée, il y a quelque chose d’Alejandro Jodorowsky dans Bardo, avec cette manière de mettre du merveilleux dans chaque instant pour mieux raconter le réel.

Bardo film

Le film le dit lui-même dans un dialogue : « il n’y a rien de mieux que la fiction pour raconter le réel ». Et c’est là que se trouve la plus grande prouesse du film, jongler avec toutes ses excentricités sans jamais perdre de vue l’équilibre narratif et le spectateur. Si le film fait presque trois heures et peut paraître long sur le papier, il ne joue pourtant aucune surenchère, chaque instant rebondissant pour en prolonger un autre, racontant tout une vie d’homme, dans ses contradictions mais aussi dans ses amours les plus forts. Quand Silverio parle de son pays et de ses événements historiques les plus passionnants, on voit littéralement des soldats en costumes débarquer au centre de l’écran, le laissant témoin de ce spectacle haut en couleur. Mais c’est aussi au cœur des souvenirs de famille que l’image s’adapte, rapetissant Silverio pour reproduire la taille d’un fils enfant face à son père disparu. Toutes ces trouvailles sont le cœur chaud et vibrant de Bardo.

Si le film est léger, on y danse et s’active beaucoup, notamment dans une admirable scène de réception où l’on entend le « Let’s dance » de David Bowie a capella. Mais Bardo sait aussi se faire grave quand se répète un motif aperçu au début du film, soulignant le drame qui y était tapi. Ce sont désormais les ombres qui sont mises en valeur, cela au moins pour un temps, avant que la joie revienne, balayant d’un revers de la main le sérieux qui s’était installé. Chez Iñárritu, la mort n’est pas un drame, dans la ligne droite de la tradition mexicaine, mais une célébration d’un nouvel état où l’on retrouve ses amis et sa famille pour communier encore une fois tous ensemble. Dans Bardo, les métaphores prennent vie et consacrent un film d’une générosité inouïe où la sensibilité est reine.

Bande-annonce

16 décembre 2022 (Netflix) – D’Alejandro González Iñárritu, avec Daniel Giménez Cacho, Griselda Siciliani


Présenté en compétition à la 79ème Mostra de Venise.




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