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ATLANTIQUE

Synopsis : Dans une banlieue populaire de Dakar, les ouvriers du chantier d’une tour futuriste, sans salaire depuis des mois, décident de quitter le pays par l’océan pour un avenir meilleur. Parmi eux se trouve Souleiman, l’amant d’Ada, promise à un autre. Quelques jours après le départ des garçons, un incendie dévaste la fête de mariage de la jeune femme et de mystérieuses fièvres s’emparent des filles du quartier. Ada est loin de se douter que Souleiman est revenu…

 

Critique du film

Nous avions énoncé lors de notre présentation de cette édition 2019 du festival de Cannes tout le bien attendu du premier long-métrage de la franco-sénégalaise Mati Diop. Nièce du premier cinéaste sénégalais Djibril Diop Mambety, elle était devenue inoubliable après sa prestation dans 35 rhums de Claire Denis, autre modèle important dans la carrière de la jeune femme. Atlantique a en commun avec Les misérables d’être une prolongation d’un court-métrage portant le même titre, sans doute le meilleur moyen pour ces jeunes auteurs de réussir à se faire connaître avant de pouvoir réaliser leur première grande œuvre. Mais ce n’est pas leur seul point commun puisque Ladj Ly et Mati Diop partagent cette rage, qu’on reconnaît chez les plus grands, pour se mettre à la hauteur des événements et de tout de suite gravir des sommets artistiques que bien d’autres ne connaîtront jamais.

Atlantique se déroule dans les quartiers populaires de Dakar, la capitale du Sénégal. Il commence avec des dockers réclamant leurs salaires, impayés depuis plusieurs mois, provoquant colère et résignation chez ces jeunes hommes dont dépendent de nombreux membres de leurs familles. L’un d’entre eux, Souleiman, noue une liaison avec Ada, jeune femme promise à un autre homme, riche et prospère, qu’elle n’aime pas. Le film se compose de ces deux fils qui sont d’une part les contraintes ignobles d’une société patriarcale qui voit les femmes passer des mains du père vers celle du mari sans que le choix leur soit donné, et d’autre part l’exploitation d’une population jeune par des hommes d’affaires sans scrupules. La superposition de ces deux réalités dessine le cœur et l’âme d’Atlantique. L’océan lui-même semble un personnage à part entière de l’intrigue. Omniprésent, visuellement mais aussi par ses sons si particuliers, on se prend même à penser au Tempestaire de Jean Epstein, film de 1947, où la mer jouait un rôle analogue.

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Une identité forte

Mati Diop imprime à son film une identité forte : c’est avant tout un conte africain, qui se raconte avec une voix douce, mais qui porte haut ses valeurs et son message. Si le film commence par le drame des hommes exploités, Atlantique est avant tout le récit d’une femme, tout juste entrée dans l’âge adulte à qui on demande de renoncer à vivre pour elle-même. Le carcan décrit est la prison de bien des femmes qui connaissent les mêmes paramètres aliénants. Dans un dialogue, une amie d’Ada la met face à au problème en lui rappelant le dilemme qui s’offre à elle. Si elle renonce à ce mariage, elle sera seule, elle devra être courageuse comme jamais elle ne l’a été auparavant. Ce portrait est un élément d’une trame qui pourrait réunir des œuvres aussi importantes que La noire de.. réalisé en 1966 par Ousmane Sembène, ou Félicité d’Alain Gomis (2017). Tous rappelle la condition des femmes d’Afrique noire et la continuité dans leur traitement inhumain par un système toujours plus oppressant et rétrograde.

Atlantique n’est pourtant pas un film infusé uniquement par des qualités proche du documentaire, style abordé par Mati Diop dans son moyen-métrage Mille soleils où elle revenait sur Touki Bouki le chef d’œuvre de son oncle. Elle utilise également des ressorts fictionnels qui donnent un cachet particulier et unique au film. Les amies d’Ada se retrouvent possédées, exprimant les voix des hommes disparus à cause de l’exploitation atroce des grands industriels locaux, tels des zombies aux yeux vides qui promettent les pires malheurs à ceux qui ont causé les troubles à l’origine d’un des grands drame du film.

Couplé avec une intrigue policière qui s’entrelace au milieu de toutes les composantes du récit, ces éléments fantastiques enrichissent et magnifient Atlantique, œuvre somme qui déploie ses ailes avec une grâce confondante. C’est alors que le parallèle avec Les misérables prend toute sa mesure, Mati Diop orchestrant une dernière scène dont la partition voit chacune de ses notes prendre sa juste place pour accoucher d’une mélodie bouleversante. Sans jamais hausser le ton, nous ne pourrons oublier cette jolie voix qui semble planer au dessus de nos têtes, s’y partageant une place de choix avec le Gavroche moderne de Ladj Ly.


Réalisé par Mati Diop – Avec Mame Bineta Sane, Amadou Mbow…


Grand Prix du festival de Cannes 2019




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