Atlantic City 2

ATLANTIC CITY

Sally, serveuse dans un casino, héberge son mari, Dave qui vit maintenant avec sa sœur, dans un vieil immeuble d’Atlantic City. Dave a trouvé de la drogue dans une cabine téléphonique et aidé de Lou, voisin de Sally qui a toujours rêvé d’être un truand, tente de la revendre. Mais reconnu par les propriétaires des sachets de drogue, Dave est abattu. Lou, en possession de cette nouvelle richesse, va pouvoir enfin réaliser ses rêves.

Critique du film

Exilé outre-Atlantique depuis la fin des années 1970, Louis Malle signe avec Atlantic City son deuxième long-métrage de sa période américaine, et celui qui fera le plus date. Il y retrouve Susan Sarandon, alors sa compagne, qu’il venait de faire tourner dans La Petite (1978). Il arrive aux États-Unis dans une décennie dominée par le Nouvel Hollywood, introduit par toute une génération de réalisateurs-auteurs (Scorsese, Coppola et Spielberg en tête) qui parviennent à s’affirmer face aux grands studios et accouchent d’œuvres à la fois personnelles et ambitieuses. Cette révolution dans l’industrie du film permet à de nombreux réalisateurs européens de venir se confronter à cet «exotisme» américain : Jacques Demy (Le Joueur de flûte, 1972) Roman Polanski (Chinatown, 1974), Milos Forman (Vol au-dessus d’un nid de coucou, 1975) ou encore Agnès Varda (Mur murs, 1981) tentent ainsi leur chance au pays de l’Oncle Sam, avec des résultats pour la plupart couronnés de succès. Fortement critiqué en France pour son long-métrage Lacombe Lucien (1974), accusé de justifier l’Occupation durant la Seconde Guerre mondiale, Louis Malle atterrit aux États-Unis autant pour se tenir à l’écart des débats que suscite sa filmographie que pour réaliser un rêve de cinéaste.

FAITES VOS JEUX

Il est devenu un poncif, quelque peu éculé à force d’être invoqué, de dire de telle ville qu’elle est le véritable personnage principal d’un film. La tentation de ce lieu commun est d’autant plus grande quand le titre du film comprend justement le nom de la ville où il se déroule. Dans le cas d’Atlantic City, il n’est pas excessif de percevoir la station balnéaire ainsi mise à nue comme le cœur de l’ambition artistique de Malle. L’un des premiers plans du film représente la destruction brutale d’un casino à la démesure qui n’a d’égal que son prestige d’antan, s’effondrant sur lui-même dans un fracas assourdissant. 1h45 plus tard, le long-métrage s’achève sur des ouvriers s’affairant à l’édification d’un nouveau lieu qu’on imagine dédié aux plaisirs en tous genres. Entre les deux, le cinéaste français n’aura de cesse de sonder l’essence d’une ville qui fut par le passé un symbole incontournable de l’American Dream, celui qui promet succès et prospérité à qui ose s’y mesurer.

À la fin de la décennie 1970, Atlantic City est en proie à un profond changement politique et urbanistique. Les jeux d’argent y sont légalisés et permettent à une nouvelle génération d’hôtels et de casinos de voir le jour, après la grave crise qui frappa la cité dans les années 1960, Le panneau publicitaire qui proclame fièrement «Atlantic City, you’re back on the map. Again.» sur l’immeuble des personnages résume parfaitement cet esprit de reconquête symbolique qui espère s’infuser parmi les habitants lassés, à l’heure où Las Vegas s’impose désormais comme la capitale mondiale du divertissement. Louis Malle filme avec habileté une ville tentant de retrouver son éclat d’autrefois, mais une ville blessée dans sa chair : une fois que l’on quitte les planches du boardwalk et son faste d’apparat, on découvre toute une population de dealers, de bookmakers, de pimps, évoluant entre des maisons délabrées et des bars miteux.

Atlantic City

Malle fait le pari audacieux du naturalisme pour filmer une ville qui s’est toujours voulu bigger than life. Peu de compositions musicales de l’immense Michel Legrand mais une attention davantage portée aux échos de la rue. L’ambiance sonore est avant tout rythmée par le bruit des pelleteuses, des mouettes, des klaxons qui contribuent à la création d’un tumulte permanent mais jamais figuré à l’écran. On ne verra rien, ou presque, du miroitement tapageur des néons ou de l’intérieur clinquant des casinos : nombre de scènes sont tournées en extérieur au petit matin, quand la ville est encore groggy de ses excès de la veille. L’éclairage est souvent terne, voire opaque, et engonce des personnages dans un environnement qui autrefois les fascinait mais semble désormais les retenir captifs.

RIEN NE VA PLUS ?

Dans cet univers grisonnant, Burt Lancaster incarne avec panache un truand à la petite semaine, nostalgique de ses forfaits d’antan (un avatar de sa ville ?). Il traîne dans les quartiers les plus démunis et prend les paris pour de pauvres gens. À travers la fenêtre, il observe sa jeune voisine se laver la poitrine en l’épongeant avec du jus de citron et tire de cet obscur objet du désir une nouvelle cure de jouvence qui lui fait toujours espérer le meilleur pour l’avenir. Sally est elle aussi avide d’un second souffle, après être venue s’échouer sur les planches d’Atlantic City : elle suit une formation de croupière (auprès d’un Michel Piccoli extraordinairement libidineux) et apprend la langue de Molière pour s’exporter dans les casinos de Monte Carlo.

Leur rencontre, puis leur relation dans la seconde moitié du film délivre enfin chez chacun ces forces résiduelles. Pour séduire Sally, Lou investit dans un costume qui lui rappellera les grandes heures de sa vie de gangster. Il retrouve dans ses nouveaux habits un éclat et une confiance qui lui font entrevoir un avenir similaire à ses jours heureux passés, même s’il ne se fait guère d’illusions sur ce qu’est devenue Atlantic City : «C’était le bon temps […] Maintenant tout est légalisé» confiera-t-il à la jeune femme. Celle-ci, qui n’a pas connu cet âge d’or de la station balnéaire, se fascine pour ce personnage au crépuscule de sa vie et pourtant si flamboyant. En espérant goûter elle-aussi à cette prodigalité.

Il est particulièrement frappant que la rencontre entre ces deux générations de rêveurs s’accomplissent par l’intermédiaire d’un couple de néo-hippies (à savoir le mari et le sœur de Sally) qui, eux, verront leurs divagations utopiques provoquer leur perte. C’est donc la mort d’une certaine innocence, voire d’une naïveté assumée parmi la jeunesse du baby boom d’après-guerre, que s’attache à figurer Malle en plantant sa caméra dans une ville en perte de vitesse. L’American Dream est désormais cynique, pragmatique, ou ne sera pas : pour parvenir à ses fins, Sally n’hésite pas à abandonner ses proches, à voler dans le porte-feuille de Lou qui, dans sa grande bonté, ne lui en tiendra pas rigueur.

Atlantic City
Le film ironise sur les aspirations croisées de ses personnages principaux. Si Lou veut revivre un passé qu’il sait révolu, Sally souhaite faire le deuil de ses origines pour s’offrir un avenir glorieux. Les deux ne sont au final que la possibilité offerte à l’autre d’initier sa quête intime. Mais si la conjonction de ces deux destins est aussi évidente sur le moment, on la sait incompatible sur la durée. Atlantic City ne peut donc que s’achever sur un sentiment à la fois tragique et pathétique, qui serre le cœur autant qu’il le réchauffe, lorsque la scission des âges finit par s’opérer. L’avènement d’un monde soumis au mouvement permanent précipite cet écart entre ceux qui s’y plongent allègrement et les autres qui restent à contempler, non sans mélancolie, ce monde les oublier et qui pense, déjà, à les remplacer.

Si Louis Malle porte un regard volontiers distancié sur les grands mythes qui ont façonné l’histoire américaine et ses héros connus de tous, il n’en oublie pour autant de convoquer une humanité rarement atteinte pour traiter de ces âmes égarées ou rongées par un passé qui les obsède toujours. Superbement dirigés par le cinéaste français, Lancaster et Sarandon offrent des compositions empreintes d’une grande sensibilité pour incarner des personnages en perte de repères, dans une station en pleine mutation.

Atlantic City traite avec une subtilité et une justesse à toute épreuve d’un monde qui oppose de plus en plus ses anciens et ses modernes : les premiers voudraient revivre à l’infini les prouesses d’antan lorsque les seconds sont persuadés que le meilleur est toujours ailleurs. Ne cherchez pas un manichéisme de mauvais aloi, il n’y en a pas. Malle questionne avant tout ce qu’il reste du passage des hommes sur une Terre, à une époque où l’on détruit aussi vite que l’on reconstruit.


De retour en salle le 6 septembre 2023 / Distrib. Malavida films


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