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AS BESTAS

Antoine et Olga, un couple de Français, sont installés depuis longtemps dans un petit village de Galice. Ils pratiquent une agriculture écoresponsable et restaurent des maisons abandonnées pour faciliter le repeuplement. Tout devrait être idyllique sans leur opposition à un projet d’éolienne qui crée un grave conflit avec leurs voisins. La tension va monter jusqu’à l’irréparable.

Critique du film

Un couple de quinquagénaires français, éduqués et engagés dans la préservation de l’environnement, s’est s’exilé en Espagne, pour s’installer sur l’un des versants frontaliers du massif pyrénéen. Ils concrétisent ainsi un projet de vie de longue date, dans une quête d’authenticité et de confort de vie . Leur quotidien, loin des grandes métropoles agitées et de leur vie professionnelle passée, mais aussi de leurs familles et amis, se concentre autour de leur activité agricole vertueuse et de ponctuels travaux de rénovation sur des bergeries alentours. L’hospitalité et la simplicité des habitants séduit les deux néo-paysans, qui tisse quelques liens avec des « confrères » comme avec leur clientèle, visiblement emballée par leurs produits sains. Mais, pour s’être fermement opposé à l’installation d’éoliennes dans le village, Antoine s’attire l’hostilité de certains habitants et plus particulièrement de leurs deux voisins, Xan et son frère cadet Lorenzo (qui souffre d’un léger handicap suite à une chute à cheval). 

Dès lors, leurs conditions de vie paisibles deviennent beaucoup moins tranquilles. L’animosité des locaux, sous forme de petites blagues humiliantes, se transforme progressivement en hostilité : les insultes et les menaces en tous genres se multiplient, faisant naître un sentiment de peur chez Antoine et Olga, et bientôt même un cruel sabotage. Bien décidé à ne pas céder face à ces intimidations, après avoir été accueilli avec une certaine indifférence par une police locale préférant minimiser, Antoine projette de filmer leurs exactions afin de pouvoir ensuite les traîner en justice avec des preuves accablantes confirmants ses dires. Pas forcément pertinent, le plan d’Antoine semble décupler la colère des deux frères qui deviennent de plus en plus menaçants. 

Pour sa première présence cannoise, Rodrigo Sorogoyen a marqué les esprits lors de la présentation en avant-première de son nouveau thriller psychologique et social. Fort de la remarquable qualité de ses interprètes (Denis Ménochet intense, Marina Foïs sensible et déterminée, inquiétants Luis Zahera et Diego Anido), et de sa mise en scène au cordeau, As Bestas captive et marque d’emblée les esprits avec son introduction prophétique et dès ses premières minutes d’exposition. Formidable architecte de la tension, Sorogoyen ménage ses effets, accompagnés d’une partition sonore grinçante qui contraste habilement avec la photographie du film, et laisse instiller cette atmosphère de plus en plus oppressante jusqu’à un plan-séquence central phénoménal.

Lire aussi : notre entretien avec Rodrigo Sorogoyen

Pourtant anti-spectaculaire au possible, cet échange tendu vient apporter toute la nuance nécessaire, non seulement à la caractérisation des personnages, mais aussi dans l’insidieuse redistribution des cartes réhumanisant les antagonistes et faisant bouger les lignes de notre empathie. Car c’est là que réside l’intelligence de l’écriture de Sorogoyen et Isabel Peña (sa co-scénariste) : « en fonction du point de vue qu’on adopte pour raconter une histoire, on peut avoir une certaine conception de ce qui est juste ou, à l’inverse, en avoir une vision radicalement différente ». Sans ne jamais cautionner leurs agissements et leur hostilité, le spectateur en comprend alors les causes qui résident essentiellement à la peur et l’usure d’une vie de labeur.

As bests

Après un premier acte davantage focalisé sur Antoine et marqué par l’escalade de ces confrontations virilistes, le second se révèle plus cérébral et rusé mais tout aussi puissant, en se recentrant autour de la figure inébranlable d’Olga. Plus que la puissance musculaire de son époux ou les fusils de leurs rivaux, elle témoigne de combien la résilience et la détermination sont des armes bien plus résistantes durant le long processus de réparation. L’arrivée de la fille unique du couple, incarnée par la touchante Marie Colomb, donne une coloration plus sensible au récit, offrant de beaux moments où l’émotion se contient derrière l’inquiétude et le déchirement.  

Entre drame intimiste et social et thriller redoutablement inquiétant, Rodrigo Sorogoyen fait de sa magistrale proposition cinématographique une saisissante fable sur la xénophobie et la lutte des classes. Un tour de force accueilli de façon triomphale lors de sa présentation mondiale à Cannes, qui a soulevé une question dès le générique final : pourquoi ne figurait-il pas en compétition ? Ce monument de tension et ce modèle d’écriture avait pourtant tout d’une Palme d’Or. 

Bande-annonce

20 juillet 2022 – De Rodrigo Sorogoyen, avec Marina Foïs, Denis Ménochet, Luis Zahera


Cannes 2022 – Première


Pour aller plus : nos entretiens avec Denis Ménochet et Marina Foïs



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