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ANATOLIA

Yusuf et son meilleur ami Memo sont élèves dans un pensionnat pour garçons kurdes, isolé dans les montagnes de l’Anatolie orientale. Lorsque Memo tombe mystérieusement malade, Yusuf est contraint de surmonter les obstacles bureaucratiques dressés par la direction autoritaire et répressive de l’école pour tenter d’aider son ami.

Critique du film

Réminiscence de souvenirs propres au réalisateur Ferit Karahan qui a lui même vécu dans ces pensionnats turques, Anatolia a pour volonté de dévoiler la sévérité du milieu dans ses moindres détails, sans jamais chercher à édulcorer celle-ci.

Les spectateurs aux côtés de l’enfant

Film coup de poing, Anatolia marque les esprits par le traitement qu’il exerce tout du long à filmer, presque à hauteur d’enfant, les actions qui se déroulent en son sein. En adoptant une taille similaire à celle du jeune personnage principal, la caméra tente de véhiculer le sentiment, les sensations et le malaise causé par la maladie de Memo sur le protagoniste principal Yussuf, en adoptant le choix de rendre compte de mouvements de caméra saccadés et secoués.

Le spectateur est alors en compagnie constante du personnage, sans que celui-ci ne dévore entièrement les autres protagonistes. Ce cadrage, créé de toute pièce par le réalisateur du film, nous contraint alors à focaliser notre attention sur le point de vue du jeune bambin, ce qui peut à quelques rares occasions s’avérer frustrant tant il aurait pu être intéressant d’intégrer le corps enseignant de cette équipe pédagogique plus en profondeur, dans le but de mieux comprendre la violence qui émane de cet endroit et des conditions de travail difficiles. L’observateur du film est donc, la plupart du temps, amené à se situer derrière Yussuf, comme si celui-ci devenait un rempart entre la cruauté dans laquelle il se trouve et le spectateur du film.

Un lieu où le collectif mêle adultes et enfants

Anatolia tient aussi sa force dans le lieu qu’il nous donne à voir et dans lequel les écoliers résident, soit ce pensionnat de garçons kurdes où la froideur domine. Ce huis-clos, dans lequel les actions se déroulent, accentue l’emprisonnement, l’impossibilité pour les protagonistes d’agir. Cet espace géographique mêle à la fois une narration purement fictive, et même presque de l’ordre du documentaire, en modelant cet endroit avec intelligence. L’école, lieu d’apprentissage, émerge alors pour remplir son rôle, à la fois auprès des écoliers, mais aussi auprès des spectateurs du film.

Anatolia

Le réalisateur prend la décision de rendre compte de la vie propre à ces pensionnats turques en abordant divers thèmes, certes très scolaires, mais qui coulent de source avec le décor du film : l’émigration due au chômage, les conditions de travail des professeurs parfois excessifs et contraints faute de moyen, la pression familiale exercée sur leur progéniture. Anatolia s’adapte aisément au public auquel il s’adresse sans jamais chercher à le prendre de haut.

Ferit Karahan use également de son objet cinématographique pour interroger et questionner la responsabilité de nos actions ainsi que celles du collectif. Si celui-ci pourrait lier et unir les personnages les uns aux autres, ce dans cette occasion précise, l’unité est délaissée afin de rappeler à l’ordre l’individualisme humain. L’irresponsabilité des adultes ainsi que leur inaction et leur incapacité à se remettre en question, devient l’antithèse flagrante de la maturité forte de Yussuf, Anatolia plongeant alors sa narration dans un contraste assumé et une ambivalence saisissante.

Une restitution mémorielle ambiguë

Comme expliqué précédemment, Ferit Karahan plonge dans ses souvenirs afin de restituer une narration inspirée d’un vécu. Cette immersion dans son esprit donne l’impression que dans cette volonté de placer ses bribes de souvenirs, le liant, qui est le scénario, exerce quelques contorsions pour parvenir à ancrer ces divers éléments narratifs. Ces quelques situations que l’on semble reconnaitre aisément ne trouvent pas suffisamment de forces nécessaires pour réellement coller à la narration. Ces situations de violence dans les pensionnats turques, qui émanent des souvenirs de Karahan, délivrent le sentiment d’avoir été posées ça et là, simplement pour accentuer le trait de ces lieux, sans que l’on comprenne réellement les raisons qui poussent ces institutions à se révéler aussi cruelles et destructrices pour les enfants.

8 juin 2022 – De Ferit Karahan, avec Samet Yildiz, Ekin Koç et Mahir Ipek.




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